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cette guerre écrit par un diplomate, M. Paul de Bourgoing, toutes les ressources militaires dont les Croates et les Serbes disposent à eux seuls, nous ne doutons nullement qu’ils ne fussent prêts à verser des flots de sang pour repousser la domination magyare. Telles sont les chances que l’Autriche peut encore trouver dans l’inhabileté des Magyars et dans la passion des Slaves méridionaux pour leur nationalité, à la seule condition toutefois de revenir elle-même aux principes constitutionnels et fédératifs posés par la diète de Kremsier.

La Russie, disions-nous il y a quinze jours, n’est peut-être pas aussi pressée d’intervenir que l’opinion aime à le supposer. Quoique la question ait fait un pas, nous sommes encore aujourd’hui de cet avis. Quel est l’intérêt de la Russie en présence des révolutions européennes ? C’est d’abord de faire chez elle une police vigoureuse qui soit là pour étouffer à chaque heure du jour les germes d’insurrection qui peuvent se développer sur son propre territoire ; c’est ensuite de laisser les pays de sa frontière s’épuiser, s’abîmer tout à leur aise dans les luttes intestines ; c’est d’établir chez elle une sorte de cordon sanitaire contre les idées révolutionnaires et non point d’aller affronter la contagion sur le sol même où elle règne dans toute sa fureur avec le caractère de question de nationalité, particulièrement dangereux pour l’empire russe. Enfin, et les dernières nouvelles de Constantinople nous en fournissent à propos la preuve, la Russie, très forte chez elle, n’a pas encore, quant à présent, assez de troupes disponibles pour répondre avec certitude de succès aux éventualités d’une intervention dans les affaires de l’Occident.

On se rappelle peut-être avec quelle lenteur et après combien de tâtonnemens diplomatiques la Russie est entrée, l’année dernière, dans les principautés du Danube. Ce ne fut qu’après s’être bien assurée de l’ignorance et de l’indifférence des cabinets de l’Occident qu’elle osa s’établir peu à peu et sans grand éclat en Moldo-Valachie. Il ne paraît pas douteux qu’elle était prise au dépourvu par les événemens et qu’une protestation énergique des cabinets amis de l’empire ottoman l’eût grandement inquiétée ou même arrêtée. Au premier moment, la Russie, qui essayait de donner le change à l’Europe par de grands mouvemens de troupes, n’avait pas cinquante mille hommes à mettre hors de chez elle. Aujourd’hui, elle arrive à peine au chiffre de cent cinquante mille. Or, une portion importante de ce contingent disponible est aujourd’hui engagée dans les deux principautés du Danube, et comme la Turquie, sans être hostile, peut devenir inquiétante le jour où les principautés seraient moins bien gardées, la Russie ne peut retirer de là cinquante mille hommes sans qu’un arrangement en bonne forme l’assure de l’amitié de la Porte Ottomane. Cet arrangement, la Russie l’espérait ; elle espérait qu’en éveillant des craintes dans l’esprit du divan sur les dangers de la question des races, elle réussirait, comme en 1812, comme en 1831, à intéresser à ses plans la Turquie, ou du moins à la réduire à une attitude de neutralité ; elle espérait qu’en pesant de tout le poids de sa diplomatie sur le ministère turc, au moment où arrivaient à Constantinople la nouvelle de la bataille de Novare et le discours complaisant de lord Palmerston sur l’occupation des principautés, elle emporterait d’assaut quelque traité d’alliance en vertu duquel, les détroits se trouvant ouverts aux vaisseaux russes, l’armée russe pourrait sans crainte passer des principautés en Transylvanie et en Hon-