Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/777

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’armée magyare a été fort long-temps tout imaginaire et ensuite parce qu’elle a combattu vivement le jour où elle a été formée par Dimbinski et Bem. Le chef du parti des vieux Autrichiens aura donc réduit la fière Autriche à cette extrémité d’un état qui craint de ne pouvoir plus se soutenir par lui-même ; il aura donc condamné ce cabinet de Vienne, hier encore si hardi, à implorer le secours d’une armée étrangère, et tout cela quand un peu plus de stratégie et une politique plus constitutionnelle eussent assuré au nouvel empereur le concours dévoué des populations les plus belliqueuses de l’empire. Il semble qu’il y ait des époques où les hommes soient pris fatalement de vertige et aillent comme à dessein se heurter contre les obstacles, lorsque chacun pourtant s’évertue à leur crier : gare ! L’Autriche vient de passer par une de ces époques, et l’on ne saurait nier que le mal ne soit profond, quoique l’on ne puisse dire encore que la situation soit désespérée. D’un côté, des populations hostiles, dès à présent bien armées, enhardies par de récens succès, d’ailleurs enthousiastes, exaltées au-delà de toute imagination par la victoire ; tant elles sont persuadées qu’elles combattent pour le salut de l’Europe et la liberté du monde ; de l’autre, des populations hier amies, dévouées conditionnellement au pouvoir, aujourd’hui déçues dans les espérances qu’on leur avait données, quelques-unes déjà rangées sous le drapeau de l’insurrection, les autres ébranlées dans leur fidélité et forcées de ne plus songer qu’à elles-mêmes en cessant de s’inquiéter de la destinée de l’empire : d’un côté la haine et de l’autre l’abandon, tels sont les deux écueils entre lesquels l’Autriche se débat en ce moment avec une armée dont l’organisation a beaucoup souffert.

Si le plan de conciliation conçu et pratiqué par Dimbinski et Bem pouvait recevoir tout son développement, si M. Kossuth, profitant de sa qualité de Slave de naissance et de nom, entrait franchement et allait jusqu’au bout dans cette voie de transaction sur le pied d’égalité entre les Magyars et les Slaves, sans nul doute le péril serait immense, car l’armée autrichienne ne peut plus guère se recruter que parmi les Croates, les Illyriens et les Tchèques. Les paysans de la Gallicie refusent déjà l’enrôlement : mourir pour mourir, autant vaut jouer la partie sur le sol national en résistant aux recruteurs que d’aller courir cette chance sur de lointains champs de bataille dans les rangs des impériaux. Les paysans de la Gallicie ont ainsi, d’apparence, fait beaucoup de chemin depuis le temps où, dans l’excès d’un désespoir envenimé, ils avaient toute confiance en l’autorité de l’empereur. Il est juste de dire toutefois que, malgré la scission qui s’est faite entre le ministère autrichien et les Slaves, ces peuples, tout en se retranchant dans leur politique nationale, sont encore assez loin de s’entendre pleinement sur les conditions d’une alliance avec les Magyars. Les Polonais ont accepté l’alliance sans autre condition que celle d’une politique conciliatrice ; mais les Polonais n’ont pas à régler avec les Magyars des questions d’intérêt pareilles à celles qui ont provoqué le soulèvement de Jellachich. Il ne suffit pas aux Magyars, pour gagner les Croates à leur cause, il ne leur suffit pas de vagues paroles de liberté et d’égalité, il faut des actes, des concessions, des traités qui, par malheur, entraînent tous la dissolution de la Hongrie et aboutissent à remplacer ce royaume par une confédération : transitoire, en attendant l’indépendance absolue de chacune des races de la Hongrie. C’est là le sacrifice su-