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humer l’encens et à prononcer les oracles. Où donc est la foule des fidèles ? Les milliers sont réduits à quelques pauvres centaines qui crient beaucoup pour suppléer au nombre par le bruit. Voilà l’histoire de ces grandes convocations patriotiques du peuple de la démagogie ; et pendant ce temps-là, que fait le vrai peuple ? Il se dit qu’on a fait une révolution pour le rendre heureux et que, depuis cette révolution, il souffre davantage. On l’a donc trompé ! Et qui l’a trompé ? Les harangueurs, les tribuns, les gens qui viennent en chaise de poste prêcher contre les riches. De ces réflexions à la colère il n’y a pas loin, et de la colère à la violence, dans le peuple, il y a bien près.

Voilà comment le parti du 21 février s’est préparé aux élections. Voyons maintenant le parti modéré.

Partout des comités se sont formés, partout des élections préparatoires ont eu lieu ; il y a eu, malgré quelques tiraillemens inévitables, il y a eu dans presque tous les départemens un ordre et une discipline admirables. Partout on s’est incliné devant les noms qu’avait proclamés le scrutin préparatoire. Ainsi pratiqué, ainsi organisé par le bon esprit du pays, le suffrage universel, cette fois encore, sauvera la France. Nous ne sommes point cependant du nombre de ceux qui ont une foi aveugle dans le suffrage universel et qui croient qu’il faut s’y confier comme à une panacée perpétuelle. Nous croyons que le principe du suffrage universel doit être respecté ; mais nous croyons aussi que ce principe a besoin d’être organisé par les mœurs, comme aujourd’hui, ou par la loi. La formation des comités et les élections préparatoires ont, pour ainsi dire, créé le suffrage à deux degrés, tel que le voulaient les constitutions de 91 et de l’an III. C’est le fait, ce n’est pas encore le droit ; mais il est à souhaiter que la loi consacre l’usage. La vérité et la régularité des élections ne peuvent qu’y gagner. Quelle que soit en effet l’autorité des comités et la bonne foi de leur organisation, il est impossible qu’une institution aussi spontanée ne s’altère pas peu à peu. Les électeurs définitifs choisis par les électeurs primaires feraient l’office des comités et le feraient au nom du pouvoir qu’ils tiendraient de la loi.

Nous venons d’indiquer rapidement de quelle manière le parti du 24 février et le parti modéré se sont préparés aux élections, l’un par l’agitation et le désordre, l’autre par une organisation intelligente et par une discipline patriotique ; mais nulle part l’approche des élections n’a eu un effet plus vif et plus décisif que dans l’assemblée nationale.

Quiconque meurt, meurt à malheur,

a dit le vieux poète Villon. Et il a raison ; personne ne meurt de bon cœur. L’assemblée nationale n’échappe pas à cette grande loi ; elle est mécontente de mourir ; ceux-là surtout qui ne doivent pas ressusciter sont mécontents. De là la colère du parti montagnard. Justo Dei judicio condemnatus sum, dit un des chartreux de Lesueur qui se redresse dans sa bière, déjà enveloppé du linceul, la figure affreuse et pleine des horreurs de la mort. Ce n’est pas notre faute si les dernières séances de l’assemblée nationale et les dernières colères de la montagne nous ont remis en mémoire ce personnage de Lesueur, cette terrible image du désespoir impuissant. On a beaucoup parlé de conspirations ces jours derniers ; nous ne croyons pas qu’on ait plus conspiré ces jours derniers que les autres jours, car nous croyons qu’on conspire toujours, mais nous croyons de plus