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de la porte Saint-Denis que le secours d’une curiosité imbécile. Cette curiosité a l’inconvénient d’embarrasser la répression, jusqu’à ce que la répression se décide à en faire payer les frais aux curieux. Quant à l’autre circonstance, la négligence ou l’aveuglement du pouvoir, elle a encore plus manqué à l’émeute. Le ministre de l’intérieur a soutenu énergiquement la cause de l’ordre, non-seulement par les mesures qu’il a prescrites, mais en défendant à la tribune les droits de la société. Toutes les fois, en effet, qu’il y a de l’agitation dans les rues, la tribune montagnarde fait écho dans l’assemblée. Accusations contre le gouvernement, injures aux ministres, protestations au nom de la liberté en péril, voilà dans l’assemblée nationale l’ordinaire lendemain des émeutes ; si bien que le gouvernement, dans ces jours de crise, a toujours la chance d’être fusillé par les vainqueurs ou accusé par les amis des vaincus.

Parmi les préparatifs que le parti du 24 février a faits pour les élections, il faut compter, après la quasi-émeute de la porte Saint-Denis, les pérégrinations de M. Ledru-Rollin. Rendons à M. Ledru-Rollin cette justice, qui peut-être lui sera agréable : il s’acquitte en conscience de son rôle de chef de parti. Quelle activité ! quel mouvement ! Où est-il ? où n’est-il pas ? Il est à l’assemblée ? non ; il est à Châteauroux ? non. Il est à Moulins ; il est partout, et partout il rencontre le désappointement ou l’échec. C’est l’apanage des partis vaincus, et surtout des partis impossibles. À Châteauroux, dans le banquet préparé pour son éloquence, M. Ledru-Rollin n’avait rencontré que le ridicule ; à Moulins, il a rencontré la colère. À Châteauroux, quand il s’est vu conduit au banquet par douze jeunes filles vêtues de blanc, M. Ledru-Rollin a eu des efforts à faire, dit-on, pour garder son sérieux. Eh bien ! M. Ledru-Rollin est un ingrat, qu’il nous permette de le lui dire, à moins qu’il n’aime mieux que nous lui disions qu’il est un peu réactionnaire sans le savoir. Les douze jeunes filles de Châteauroux ont paru en 1849 ridicules à M. Ledru-Rollin : ce que c’est que d’avoir une année de plus sur la tête en pareille matière ! Il y a un an, tout cela eût semblé charmant, renouvelé des fêtes de 93 et 94, solennel, patriotique, populaire, virginal, que sais-je ? Aujourd’hui, cela ressemble à l’opéra joué dans une grange. Juste retour des choses de ce monde ! À Moulins, c’est un retour aussi des choses de ce monde que l’émeute et les violences populaires dont M. Ledru-Rollin a failli être victime ; mais c’est un triste retour. À Dieu ne plaise que nous approuvions jamais les violences qui se tournent contre nos adversaires, et nous nous associons à la noble et généreuse indignation qu’exprimait M. Odilon Barrot au récit des troubles de Moulins. Il est un sentiment cependant que la conscience publique ne peut pas s’empêcher de ressentir. M. Ledru-Rollin est un des grands agitateurs de notre pauvre pays ; il fait souvent appel aux passions populaires un jour est arrivé où ces passions populaires se sont retournées contre lui. Nous savons bien que M. Ledru-Rollin ne croit pas que les passions populaires soient pour rien dans l’émeute de Moulins. Le peuple porter la main sur un des grands pontifes de la démagogie, fi donc ! Hélas ! les pontifes de la démagogie se font un peuple imaginaire, un peuple dont ils sont les dieux, peuple peu nombreux, mais très bruyant, qui s’agite dans les estaminets et dans les clubs, qui fuit les ateliers et réclame l’organisation du travail. Ce peuple doit venir en foule inonder les salles des banquets patriotiques ; ainsi parlent, ainsi le promettent les sacristains aux pontifes. Les pontifes arrivent prêts à