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n’ont-ils pas intérêt à ce qu’une situation aussi importante pour le commerce du monde que le passage du Sund reste aux mains d’une puissance de second ou de troisième ordre qui, par cette condition même, en assure la libre pratique à toutes les marines ? Le Danemark, gardien du Sund, rend à l’Europe un service que tous les cabinets apprécient ; et, comme ils savent bien qu’un démembrement de ce petit état serait sa ruine, ils ne semblent point disposés à se prêter à ce démembrement tenté par la confédération germanique. Le droit fût-il obscur, que l’intérêt est bien clair. Aussi la Suède, l’Angleterre, la Russie et la France ont-elles protesté, dès l’année dernière, en faveur du Danemark, et il a fallu sans doute l’universelle agitation du monde entier pour détourner un moment leur attention d’un débat qu’elles avaient dès lors pris à cœur. Si grave toutefois que soit en ce moment et pour long-temps encore la situation générale, si grandes que soient les épreuves par lesquelles les divers gouvernemens sont appelés à passer, on n’oubliera pas la guerre du Schleswig ni les droits du Danemark, parce que du respect de ces droits dépend un des plus grands intérêts politiques et commerciaux de l’Europe.

Peut-être l’Allemagne, absorbée par les vicissitudes démocratiques et sociales dans lesquelles elle entre et d’où elle ne sortira pas de sitôt, sera-t-elle, par ses propres réflexions, amenée à comprendre que derrière le Danemark, qu’elle peut battre, il y a la Suède, l’Angleterre, la France et la Russie, contre l’union desquelles ses prétentions ne sauraient prévaloir. Peut-être, dans la profondeur du mouvement d’idées qu’elle accomplit sur elle-même et dont elle attend sa réorganisation, sera-t-elle conduite à sentir toute l’iniquité des prétextes dont elle s’est couverte pour envahir le territoire d’une nation indépendante renfermée dans les limites de son droit. Peut-être, enfin, des considérations d’un ordre moins élevé, quoique puissantes aussi, viendront-elles peu à peu inspirer à l’Allemagne des dispositions plus pacifiques. L’intérêt du commerce, l’intérêt essentiellement démocratique du travail, laissent pour l’avenir une espérance aux amis d’une pacification. Le commerce, en effet, ne peut pas supporter long-temps les calamités que lui attireront les représailles maritimes du Danemark. Ses souffrances vont augmenter chaque jour avec d’autant plus de rapidité, que les catastrophes industrielles, causées par la révolution, s’ajouteront à celles qui sont dues au blocus, et que les maux du dedans se joindront ainsi à ceux du dehors.

Dans toutes les hypothèses et quelle que soit la marche des événemens, il importe pour l’honneur du droit, pour la paix de l’Europe septentrionale, pour le commerce de l’Allemagne elle-même, que cette guerre ait un terme. C’est pour la diplomatie un devoir d’humanité et de prudence de mettre fin à un conflit déjà trop long, qui, sous les prétextes les plus futiles, a déjà coûté beaucoup de sacrifices à un petit état nécessaire à l’équilibre européen.