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Dieu de nous avoir épargné ce malheur, et félicitons-nous d’avoir pu voir et apprécier de si près notre héroïque adversaire !

Les événemens militaires que je viens de raconter portent en eux-mêmes des enseignemens qu’il est presque inutile de faire ressortir. La campagne de 1849, étourdiment conçue sous l’empire d’une excitation factice, ne pouvait aboutir qu’à une catastrophe. L’armée piémontaise est excellente ; elle survivra à sa défaite ; mais, au moment d’entrer en ligne, il lui manquait la confiance. Ses cadres avaient été précipitamment remplis ; son instruction était incomplète ; elle n’avait d’entier que sa valeur, l’héroïsme de son roi, l’énergie mâle et résignée de ses officiers. Elle a été vaincue fatalement. Les plans les plus habiles, les combinaisons les plus savantes n’y auraient rien fait. Le plan du général Chrzanowski, tant blâmé, était le seul qu’il pût adopter dans les circonstances critiques où on l’avait placé, avec la nécessité de marcher en avant, de pousser droit à l’ennemi, et coûte que coûte. Pouvait-il marcher avec toutes ses forces concentrées, laissant la ligne du Tessin dégarnie et Turin exposé à un coup de main ? C’eût été d’une tactique aussi inconsidérée que la politique même qui précipitait l’armée à la frontière. Une fois en ligne, le général Chrzanowski a déployé une rare décision, un sang-froid imperturbable et de grandes ressources d’esprit et de science ; il a tiré de l’armée piémontaise tout ce qu’elle pouvait donner à cette folle guerre. Il suffit de rappeler le chiffre des hommes mis hors de combat du côté des Autrichiens, pour se convaincre que l’armée piémontaise n’a pas cédé le terrain sans résistance. Ce chiffre s’élève à près de 4,000 tués et blessés, pendant la courte campagne de Novara, parmi lesquels plus de 150 officiers. Certes, une armée qui, livrée à toutes les causes de découragement et de désorganisation, a encore le bras assez fort pour frapper de tels coups, cette armée mérite l’estime du monde. Ce n’est rien d’être vaincu, quand on est un pays vivace et fort, qui peut en appeler à chaque instant de la défaite d’aujourd’hui à la victoire de demain. C’est beaucoup de conserver l’honneur ; celui de l’armée piémontaise est sans tache.

Quant à la cause principale de ce désastre, elle n’a qu’un nom, mais ce nom dit tout. Elle s’appelle la démagogie. Livré à ses inspirations, le roi Charles-Albert n’aurait pas été placé dans cette alternative fatale de combattre ou de tomber du trône, de vaincre ou d’abdiquer. Il aurait combattu à son jour, à son heure ; et, s’il eût été vaincu, il eût gardé du moins le prestige d’un roi et le crédit d’un négociateur. La démagogie l’a sacrifié à sa précipitation, pleine à la fois d’imprudence et de couardise ; et aujourd’hui elle lui tresse des couronnes ! La démagogie aime fort les rois… quand ils s’en vont !


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