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roi ! puis, s’approchant du comte de Robillant, lui dit d’une voix ferme « Es-tu blessé, père ? — Non, et toi ? — Moi, j’ai la main emportée ! » Le comte de Robillant pâlit ; mais, se raffermissant sur sa selle : « Eh bien ! console-toi, mon fils, tu as fait ton devoir ! » Une heure plus tard, le pauvre Charles de Robillant supportait courageusement l’amputation du bras. J’ai cité la mâle réponse du comte de Robillant, car elle est un trait de plus qui peint les hommes contre lesquels s’acharne chaque jour la presse démagogique italienne.

Le roi, déjà près de la ville, me vit passer. « Quelles nouvelles ? me demanda-t-il. — Tristes, sire ! » Cependant un boulet vient atteindre l’escorte royale et couche plusieurs soldats à terre. Les chevaux se cabrent ; l’escadron se débande. Quelques instans après, je me retrouve auprès du roi. « Au moins, dit ce malheureux prince, l’honneur de l’armée est sauf ! » Et plus tard : « La mort n’a pas même voulu de moi ! » ajouta-t-il avec une expression de profonde amertume.

À sept heures, la nuit était venue ; la mousqueterie se faisait encore entendre. Le roi avait fait appeler M. Cadorna, ministre responsable, tandis qu’il était encore sur les remparts, et, lui montrant le champ de bataille, lui avait dit de se rendre au camp ennemi avec le général Cossato et de demander un armistice. En voyant l’aspect du champ de bataille, ce ministre, pâle et abattu, comprit peut-être enfin quelle responsabilité pesait sur lui et ses collègues ; il partit aussitôt pour le camp autrichien ; mais, cette fois, le vainqueur voulait faire sentir toute sa puissance et peut-être s’assurer de la trempe plus ou moins romaine du ministère démocratique. Ses conditions étaient dures, et il dut comprendre toute la portée de son triomphe par l’attitude du ministre avec lequel, du reste, il refusa nettement de traiter. Le général Cossato, qui, pour dépenser moins de paroles belliqueuses que les orateurs du palais Carignan, n’en était pas moins prêt à exposer noblement sa vie pour l’honneur de son drapeau, refusa de passer ainsi par la loi du vainqueur avant d’avoir pris les ordres du roi. Il revint à Novara et, après avoir exposé le résultat de sa mission, il attendit de nouvelles instructions. En voyant les malheurs dans lesquels son dévouement à la cause de l’Italie avait entraîné le royaume de ses pères, le roi n’hésita pas à consommer un dernier sacrifice. Il fit appeler les princes, les généraux, le ministre Cadorna, et d’une voix lente, mais ferme, leur dit ces paroles, que l’histoire doit recueillir : « Messieurs, je me suis sacrifié à la cause italienne ; pour elle j’ai exposé ma vie, celle de mes enfans, mon trône : je n’ai pu réussir. Je comprends que ma personne pourrait être aujourd’hui le seul obstacle à une paix désormais nécessaire. Je ne pourrais pas la signer. Puisque je n’ai pas pu trouver la mort, j’accomplirai un dernier sacrifice à mon pays. Je dépose la couronne et j’abdique en faveur de mon fils, le duc de Savoie. » Puis, le roi embrassa