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pendant la nuit de leurs drapeaux, errèrent à l’aventure et ne purent rejoindre leurs corps qu’après la bataille de Novara.

La nouvelle du triste épisode de Mortara fut un coup sensible pour le roi et le général Chrzanowski comme pour toute l’armée. Ce désastre ébranlait la confiance que les troupes avaient déjà prise en elles-mêmes après le combat de la Sforsesca, et détruisait l’espoir que le roi et le général en chef avaient conçu de livrer bataille le lendemain, en attaquant l’armée autrichienne dans les positions peu favorables où elle se trouvait engagée. Le général Chrzanowski, voyant la campagne compromise, proposa un coup hardi et que plusieurs de ceux qui l’entouraient regardaient comme pouvant amener de brillans résultats : c’était de marcher le 22, à la pointe du jour, droit à l’ennemi sur Mortara, de pousser l’attaque à fond avec les 30,000 hommes qu’on avait sous la main, et de risquer ainsi de périr avec toute l’armée ou bien de culbuter les Autrichiens, de pénétrer jusqu’à la division lombarde, puisqu’elle ne voulait faire aucun effort pour venir à nous, quoiqu’elle fût seulement à quelques lieues de distance et qu’elle eût entendu la vigoureuse canonnade de la journée, puis, renforcés de ces 6,000 combattans, de rallier les deux divisions chassées de Mortara le 21. Cette résolution était bien hardie, il est vrai ; mais n’avait-elle pas quelques chances de réussite, et la victoire ne couronne-t-elle pas souvent une impétueuse audace ? Je laisse aux militaires instruits et expérimentés à décider la question.

Cette proposition fut écartée ; le roi l’appuyait ; mais les chefs de corps objectèrent que la nouvelle de l’échec de Mortara, répandue dans l’armée, avait renouvelé le profond dégoût d’une partie de la troupe pour cette guerre politique, que les symptômes menaçans reparaissaient, que les munitions manquaient, et qu’il n’y aurait que folie à s’engager dans une entreprise aussi désespérée. C’est alors que le général fit donner l’ordre de la retraite sur Novara, où on rallierait, s’il était possible, les divisions débandées et où l’on attendrait l’ennemi. Dans la situation que nous avaient faite la manœuvre négative de Ramorino et le désastre de Mortara, il n’y avait pas d’autre parti raisonnable à prendre.

La manœuvre de l’armée autrichienne avait été pleine d’audace et parfaitement conduite. Pendant que des brigades se déployaient successivement en avançant sur notre gauche, le gros de l’armée, précédé d’une avant-garde commandée par l’archiduc Albert, marchait droit sur Mortara, protégé par de vives attaques destinées à masquer la marche du corps principal. Le succès couronna cette manœuvre, qui eût été déjouée si la mauvaise organisation du service des vivres, retardant nos opérations, n’eût empêché la moitié de la troisième et toute la quatrième division de partir à l’heure prescrite. À chaque instant, le général Chrzanowski envoyait presser l’arrivée de ces troupes, répétant