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le reste de l’armée, moins la cinquième division. Si, au contraire, l’armée piémontaise prenait l’offensive par Buffalora, elle jetait de l’autre côté du Tessin et sur ce même point une force de plus de cinquante mille hommes en trois heures de temps. Enfin, si l’ennemi débouchait par Pavie, l’armée, avertie par le canon du général Ramorino, se mettait aussitôt en mouvement par le flanc droit ; trois de ses divisions venaient coucher le soir même entre Romella et Mortara, où elles rejoignaient la général Ramorino ; les autres couchaient sous Vigevano et se trouvaient le 21, à dix heures du matin, à leur poste de bataille, bien avant que l’ennemi pût commencer son attaque.

Le pays qui s’étend de Novara jusqu’au Tessin offre d’abord des terres cultivées ; puis, au-delà de Trecate, on trouve une vaste lande couverte de courtes bruyères, qui se prolonge jusqu’au sommet de la côte dominant la vallée et le fleuve. Le pont de Buffalora est d’une belle construction en pierre de taille ; deux petits pavillons pour les percepteurs du péage sont bâtis à chacune de ses extrémités. Ce pont était barricadé du côté des Autrichiens ; trois hussards placés en vedettes se promenaient sur la route, qui, à partir du pont, se dirige en ligne droite vers la douane lombarde, située au sommet d’une montée rapide au-delà du Naviglio. On apercevait également une barricade à l’entrée des bâtimens de la douane.

Le 20 mars, à dix heures du matin, le roi arriva en face du pont, suivi du général Chrzanowski et de tout son état-major. Les troupes le saluèrent à son passage par de vives acclamations. Chacun tourna ses regards vers la rive opposée, sur laquelle on apercevait uniquement quelques petites patrouilles de cavaliers ennemis. À midi, un frisson général parcourut toute cette masse d’hommes ; le signal de la lutte était donné par la cloche même qui sonnait l’heure. Sur les deux rives du Tessin chacun dut, à ce moment, tourner ses regards vers le ciel et implorer Dieu pour le succès de l’armée piémontaise. La journée était magnifique ; le soleil éclairait les longues lignes de troupes qui s’étendaient sur la bruyère ; la rive lombarde semblait illuminée d’un rayon joyeux à la vue de ce roi libérateur prêt à marcher vers Milan ; chacun attendait le mot : En avant ! Dans cet instant tout le monde avait oublié ses secrètes appréhensions, et, pour ma part, je sentis l’espérance rentrer dans mon esprit, ramenée par une de ces circonstances puériles dont l’homme ne peut guère s’empêcher de tenir compte dans les momens les plus solennels. Pendant qu’à l’aide de ma lorgnette je cherchais à découvrir ce qui se passait sur le rivage ennemi, je fus distrait par une nuée de canards sauvages qui se jouaient au soleil dans les eaux du Tessin ; tous nageaient vers la rive lombarde, puis, au dernier coup de midi, prêts à toucher la rive, ils prirent rapidement leur vol et s’élancèrent dans les airs, disparaissant bientôt dans la direction