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d’un Mazarin. Aussi son livre, qui a gardé le parfum de ses rancunes, a-t-il été consulté par tous les écrivains étrangers, tandis qu’il a été négligé, à juste titre, par nos historiens nationaux. L’homme éclairé qui a prédit l’indépendance, aujourd’hui accomplie, des colonies d’Amérique, était cependant bien propre à jeter de vives lumières sur les questions que fit naître la décadence de l’Espagne, au moment où Napoléon décida que le temps était venu de l’envahir ; mais on ne juge sainement des passions d’autrui qu’en se dépouillant préalablement des siennes, et l’abbé de Pradt ne s’était jamais assez sérieusement occupé des préceptes de l’Évangile pour se souvenir de celui-là.

Le comte de Las-Cases n’a, dans ses mémoires, d’autre pensée que celle de reproduire les opinions de l’empereur sur lui-même. Il a accompli en serviteur loyal ce pieux devoir que s’était imposé sa fidélité.

Parlerai-je de Southey, de Harding, de Londonderry, de sir Walter Scott, de Cevallos ? Leurs écrits sur la guerre d’Espagne et ses antécédens ne sont, en quelque sorte, qu’une continuation de cette guerre même, une prolongation des guérillas dont nous eûmes à souffrir dans la Péninsule. Ils ne sont bons aujourd’hui qu’à constater la terreur profonde que les entreprises audacieuses de Napoléon avaient laissée, même long-temps après sa chute, parmi les nations étrangères. L’Histoire de l’Europe, publication tory de Archibald Alison, œuvre plus calme et plus équitable, n’est à mentionner et à lire que pour compléter l’impression qu’on peut recueillir de tous les jugemens conçus au point de vue étranger sur cette mémorable époque. Alison a mis son travail sous la protection de cette phrase de Tite-Live : Quod, Hannibale duce, Carthaginienses cum populo romano gessere ; ce que je traduirais : « Une histoire de Rome au point de vue carthaginois ! »

M. Armand Lefebvre, auteur d’une Histoire des Cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, a écrit dans des conditions plus favorables, et son talent a pu se développer à l’aise dans l’indépendance et l’acquit que lui donnaient à la fois une jeunesse passée loin des intérêts qu’il avait à débattre et ses études au sein même des affaires étrangères dont il fut long-temps un des plus laborieux employés. C’est au milieu même des archives de ce ministère que M. Armand Lefebvre conçut l’idée d’écrire, avec le secours des documens laissés à sa disposition, les actes des cabinets de l’Europe pendant les quinze premières années de ce demi-siècle déjà si pesant dans l’histoire. Les lecteurs de ce recueil ont pu juger, par quelques fragmens pleins d’intérêt, de l’excellence de ce travail semé de vues solides, de détails précieux, où s’enchâssent habilement quelques-uns de ces portraits finement tracés, tels que nos anciens agens diplomatiques se plaisaient à les crayonner dans leurs dépêches, pour instruire et récréer le roi leur maître. Plusieurs points historiques importans ont été éclaircis par M. Lefebvre,