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REVUE DES DEUX MONDES.
LA REINE-MÈRE.

Ils me les ont montrées, mon frère, et s’ils s’obstinent à en faire usage, vos amis auront grand’peine à vous tirer de là.

LE ROI DE NAVARRE.

Fourberie que ces pièces, madame, pure fourberie.

LA REINE-MÈRE.

Telles qu’elles sont, croyez-moi, ne les dédaignez pas. Mon fils est bien malade, mais ses oncles sont puissans. Ils useront de leur pouvoir jusqu’au bout. Je les crois gens à tout faire pour se délivrer de vous et de votre frère. Ils jouent à quitte ou double ; et savez-vous pourquoi ? Parce qu’on leur dit que le gouvernement du royaume va passer entre vos mains, que vous serez leur maître. De là cette colère, ces violences. Sans les propos de quelques imprudens, nous n’en serions pas là. Vous avez des amis malavisés, mon frère ! vous le savez, ils vous décernent la régence.

LE ROI DE NAVARRE.

Eh ! madame, est-ce ma faute si le parent le plus proche…

LA REINE-MÈRE.

Pour ma part, je n’aurais rien à dire, n’était qu’il y a péril pour vous et pour l’état. Franchement, mon frère, si j’écoutais mon inclination et l’amour de mon repos, je vous prierais de prendre cette charge, non qu’à mon avis elle vous appartienne plutôt qu’à moi, une mère a toujours droit à la tutelle de son enfant, il n’y a pas de loi contre ce vœu de nature, mais parce que personne ne m’agréerait autant que vous pour la conduite des affaires. Aussi je ne saurais vous dire quel est mon regret de ne pouvoir me décharger sur vous de ce fardeau ! Que n’êtes-vous resté dans le sein de l’église notre mère ! Vous y voilà revenu, Dieu merci, mais d’hier seulement : le peuple en a la mémoire trop fraîche, vos ennemis auraient trop beau jeu contre vous, nous serions exposés à trop de défiance et de soulèvemens ; il faut par force que je me dévoue. Ce qui m’y décide aussi, c’est que moi seule je puis conserver à vous et aux vôtres une juste part dans le maniement des affaires. On vous disputera la lieutenance générale, mais dussé-je y perdre la vie, je vous la donnerai. Votre frère prendra place au conseil et dans les armées du roi. Je ferai plus. Vous regrettez, je pense, vos possessions d’Espagne…

LE ROI DE NAVARRE.

Assurément, madame.

LA REINE-MÈRE.

J’obtiendrai du roi mon gendre qu’il vous les rende en tout ou en partie. Mais, de votre côté, vous mettrez bas toute rancune contre MM. de Guise…