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s’interdit, par un reste de vénération peut-être excessive pour le héros qu’il a admiré de si près, un examen trop détaillé de sa conduite. Le plus grand tort de Napoléon en cette circonstance fut un tort politique, selon M. Bignon ; il devait choisir entre les deux plans qu’il avait conçus simultanément. La politique impériale devait être et rester nationale, et non devenir une ambition de famille, tandis que Napoléon voulait concilier, et satisfaire en même temps ces deux besoins de son ame. Abattre les Pyrénées au profit de la France, se donner une barrière contre l’Espagne en lui enlevant les provinces de l’Èbre, comme il avait dû, pour sa sûreté, tenir les clés de l’Italie et de l’Allemagne en restant maître du Piémont et des forteresses du Rhin, telle était, au dire de M. Bignon, la véritable politique à suivre en 1808. M. Bignon avait le droit, sans doute, de se maintenir dans ces hautes régions spéculatives et de n’abaisser pas trop ses regards sur des faits qui pouvaient lui paraître secondaires près de ces grandes questions ; mais, de son côté, le lecteur est en droit de désirer quelque chose de plus, et de s’attendre à ce qu’on l’introduise plus complaisamment dans le foyer secret des affaires.

Un autre historien, le comte Thibaudeau, homme non moins émiment, qui siégea nombre d’années dans le conseil d’état près de Napoléon, a écrit également l’histoire diplomatique de l’empire ; mais le labeur ne supplée pas à l’initiation, et M. Thibaudeau a été plus souvent à même de recourir aux pièces officielles, aux dépêches pour ainsi dire publiques et aux souvenirs, d’ailleurs pleins d’intérêt, que lui fournit sa longue et honorable carrière politique, qu’aux dépôts secrets. La sévérité des opinions républicaines de M. Thibaudeau se fait sentir dans tout son ouvrage, et il se peut qu’il ait trop chargé de l’inflexible poids de ses arrêts le côté de la balance que M. Bignon allége avec trop de sympathie peut-être.

Les Mémoires de Savary offrent des documens que les historiens ont dû consulter avec précaution. Ses dépêches relatives à l’affaire d’Espagne ont plus d’importance. Nous verrons tout à l’heure qu’il n’a pas été permis à tout le monde de les connaître.

L’abbé de Pradt, qui a écrit sur toutes les affaires temporelles de ce monde était, on le sait, le plus passionné de tous les prélats qui se sont mêles de politique. J’ai souvent entendu l’archevêque de Malines discourir, avec la fougue brillante qui l’animait toujours, sur la conduite de Napoléon à l’égard des Bourbons d’Espagne, et, dans sa conversation comme dans son livre, l’homme d’église et l’historien me semblent avoir complètement disparu derrière l’homme d’esprit. D’ailleurs, M. de Pradt n’aimait pas Napoléon. Il ne pouvait pardonner à l’empereur de n’avoir pas découvert, dans la personne de son ambassadeur à Varsovie, l’étoffe d’un cardinal de Richelieu, ou tout au moins