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est celui d’un homme de bien luttant avec l’adversité. Le spectacle que donne un historien épris d’un héros qu’il a suivi avec orgueil dans toutes les phases d’une radieuse vie, et qui se voit forcé de sonder les égaremens de ce grand cœur, offre un aspect non moins touchant.

Ce huitième volume renferme toutes les péripéties du drame déplorable qui commença à Madrid, à Aranjuez, au Buen-Retiro, et se dénoua au château de Valençay, ou, pour mieux dire, au revers septentrional des Pyrénées, abaissées en 1814 par les fausses combinaisons de Napoléon, et dans un sens inverse à celui que Louis XIV attacha aux paroles qu’il adressait, dit-on, à son fils allant régner en Espagne ; drame plein de sinistres présages, où l’on voit se détacher les premiers fragmens d’un vaste empire, s’affaisser les premières assises du gigantesque établissement de 1809, et s’enfuir déjà avec la fortune la grandeur que nous avaient conquise quinze années de batailles livrées à l’Europe entière.

L’écrivain, l’homme d’état n’a pas failli dans cette œuvre, l’écueil a été traversé avec talent, avec intrépidité ; sans nous livrer au découragement qui suit souvent l’enthousiasme déçu, sans se laisser entraîner lui-même d’un seul pas aux ménagemens qui pouvaient paraître dus à certaines circonstances, écartant d’une main patiente, mais ferme, les voiles qui cachaient encore une dernière part des fautes et des erreurs de Napoléon, M. Thiers nous a livré l’analyse sérieuse, profonde, complète, trop sévère peut-être, de cette déplorable affaire. Quant à l’agencement, à la conduite historique de ce dernier travail de M. Thiers, la pensée en appartient aux meilleures traditions de l’antiquité et des temps modernes ; large manière, exposé des détails administratifs, autant qu’ils servent à préparer dans notre esprit et à expliquer les événemens ultérieurs, mise en scène successive des personnages habilement amenés près du personnage principal, tout rappelle, dans ce magnifique tableau, les bonnes pages de Polybe, les meilleures parties de Guicciardini.

Avant que de passer à l’œuvre, qu’il me soit permis de m’arrêter quelques momens devant l’historien lui-même.

L’Histoire de la Révolution française, commencée il y a vingt-cinq ans par M. Thiers, fut, avec le trop bref récit de M. Mignet, la première révélation sentie et profonde qui nous fut faite sur cette grande crise sociale, quelquefois peu comprise par ceux-là même qui y avaient pris le plus de part. C’était (en ce qui est des premiers volumes du moins) l’œuvre d’un jeune homme nouveau venu, sinon dans le monde des grandes idées, du moins dans les hautes sphères où elles reçoivent leur consécration ; souvent, j’ose le dire et sans embarras, séduit par le succès qu’obtiennent des esprits qui ne sont que téméraires, gagné