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Il se voit plus d’auteurs de romans ou de poésies qui se font historiens ou critiques, que de critiques ou d’historiens qui se font poètes ou romanciers. M. de Lamartine en est l’exemple le plus illustre ; il écrit de l’histoire et il édite ses poésies. Encore devons-nous à d’honorables nécessités l’intérêt qu’il prend à ces chers objets de nos premières admirations : peu s’en est fallu qu’il n’y vît des péchés de jeunesse en les comparant aux splendeurs de ses récits et de ses harangues. L’auteur d’un roman plein d’imagination et de poèmes où brillent des vers charmans sur un fond un peu romanesque, M. Sainte-Beuve, achève l’histoire de la plus austère des sociétés chrétiennes, Port-Royal, et tire des profondeurs de l’érudition la plus curieuse un des livres les plus propres à donner du cœur aux honnêtes gens et à faire honte aux ames faibles. Il n’est éloges qu’on n’ait faits, dans ces dernières années, d’un Abailard de M. de Rémusat, confidence de salon dont beaucoup de gens sont restés très vains ; M. de Rémusat a gardé dans son portefeuille l’Abailard du drame, et ne nous a fait voir que celui de l’histoire. M. Mérimée est de l’Académie des belles-lettres pour de profondes études d’histoire romaine, et la plume qui a écrit le Vase étrusque et Colomba rédige des mémoires d’archéologie. Nous verrons peut-être d’autres désertions du camp de l’imagination dans celui de l’utile ; mais je ne sache pas que ceux qui sont les premiers dans les travaux d’histoire ou de critique, MM. Thiers, Cousin, Thierry, Mignet, Villemain, Guizot, pensent à faire des poésies ou des romans. Il est vrai qu’un autre esprit d’élite, M. Vitet, qui s’entend si bien aux choses les plus diverses, et qui ne parle pas moins pertinemment des finances du gouvernement provisoire que des beautés d’Eustache Lesueur, nous fait un pendant aux États de Blois ; mais qu’on ne s’y trompe point : son dessein est de nous donner de la plus fine et de la plus secrète sorte d’histoire politique, surprise au cœur et recueillie sur les lèvres des personnages. C’est du drame pour intéresser l’imagination aux enseignemens de l’histoire.

Telle paraît être la direction de l’esprit humain dans notre pays. À côté de cela, tracez l’histoire du tour d’esprit du temps : vous en compterez autant qu’il y a eu de révolutions politiques. Le calcul même est modéré. De plus sévères trouveraient que les goûts ont changé encore plus souvent que les gouvernemens. Le tour d’esprit de chaque époque était-il du moins l’expression de ses mœurs ? Nullement ; pas plus que les bergeries de Fontenelle ne représentaient les mœurs de la fin du XVIIe siècle ; pas plus que les pastorales de Florian et de Gessner n’ont été l’image de la fin du XVIIIe siècle. Ainsi le tour d’esprit du temps n’est pas toujours l’expression des mœurs ; c’est un caprice, une disposition, des vapeurs comme en ont les vieilles sociétés, sans plus de causes appréciables que celles des changemens dans la coupe des habits.