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sans aigreur. Il ne foudroie ni ne prêche personne, il critique, et le passage critiqué ne l’empêche pas, sitôt après, de goûter un passage meilleur du même écrit ; ou, si c’est tout l’ouvrage qui a mérité le blâme, il ne le rend pas injuste pour les autres écrits de l’auteur.

M. Saint-Marc Girardin est le libéral par excellence en littérature. On n’est pas libéral sans être conservateur ; aussi est-il fidèle, comme je l’ai dit, au goût français, à la tradition classique. On n’est pas libéral, si l’on se laisse prévenir contre toutes nouveautés ; aussi ne les craint-il pas. Le Cours de Littérature dramatique n’interdit pas à l’art de tenter de nouvelles voies, et, si quelque beauté se présente, il ne lui demande pas si elle vient de la liberté ou de la règle. Sauvez le fond, respectez la nature humaine ; ne logez pas dans un cœur bas une vertu sublime ; ne nous donnez pas des pères et des mères qui ne soient ni les nôtres ni nous ; entre les bons et les mauvais instincts du cœur humain, tirez vos effets dramatiques des bons ; tenez votre drame le plus près de la vie ; faites qu’on en sorte, sinon purgé, comme le croulait le grand Corneille, qui n’est pourtant pas un si mauvais guide, mais fortifié dans ses bons sentimens, et un peu plus en garde contre ses défauts : et, quant aux moyens, soyez libre. Pour une beauté de sentiment ou de passion, je vous passe volontiers une règle ; je vous les passerais toutes pour une pièce d’où je reviendrais touché et plus fort pour le bien. Fidélité au caractère moral du drame, liberté dans l’invention, voilà toute la poétique du Cours de Littérature dramatique. L’auteur sait d’ailleurs que le talent qui trouve les beautés n’a pas besoin des mauvais moyens, et que tout ce qui est beau dans le drame, s’il n’est pas selon les règles, ne doit pas en être bien loin.

M. Saint-Marc Girardin n’est si agréable que parce qu’il est libéral. Vous connaissez l’impression douce que fait l’indulgence chez une personne du monde : il y a quelque chose de plus charmant, c’est le respect d’un écrivain supérieur pour la diversité des esprits. M. Saint-Marc Girardin n’est pas étonné de ne pas se trouver dans un autre ; il paraît même charmé d’y trouver quelqu’un qui n’est pas lui. Il aime le tour d’esprit qu’il n’a pas, le genre qui n’est pas le sien. Un mélodrame a du bon pour lui, et voyez combien est méritoire la charité, ou délicate la justice, qui fait goûter à cet esprit si naturel les effets de nerfs et la phraséologie du mélodrame ! Je suis bien sûr que le succès d’autrui ne lui a jamais paru une diminution du sien. Et pourtant a-t-il lui-même tout le succès qu’il mérite ? Ce manque de charlatanisme le cache à certains yeux qui ne regardent que du côté où l’on ouït les fanfares Un si rare esprit échappe à beaucoup de gens, parce qu’il ne s’impose à personne. Il ne se recommande pas, comme certains auteurs distingués, par les défauts de ses qualités ; il est profond sans que sa profondeur soit annoncée par de la contention d’esprit ; élevé, sans qu’on voie l’effort