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C’est ainsi qu’à l’heure même où la poésie semble s’éteindre dans les esprits lassés ou détournés par l’ardent attrait des luttes présentes, elle jaillit de nouveau aussi fraîche, aussi vivante que jamais d’une imagination libre et énergique. Au milieu des mille transformations, des mille changemens, des mille fluctuations qui altèrent l’ame humaine, qui étonnent et fatiguent le regard, il n’est pas sans une austère douceur de s’arrêter un instant à observer un homme qui consent à être ce qu’il fut toujours, — un homme heureux dans son indépendance, un grand poète dans son antique et populaire langage. Il y a dans la simplicité, dans le naturel et le vrai, qu’ils se manifestent dans une existence, qu’ils éclatent dans une œuvre poétique, un charme secret toujours nouveau et dont on se sent d’autant mieux disposé à goûter le prix, qu’il semble plus inattendu peut-être dans nos heures de hâte, de transition et d’épreuve. La simplicité nous venge de tant de vanités théâtrales, de tant de boursoufflures de l’orgueil en révolte, de tant de violentes profanations d’Érostrates désespérés ! Le naturel et le vrai nous consolent de tant d’hyperboliques chimères, de tant de falsifications de notre pauvre être moral ! Ces conditions élevées et pures de toute poésie, je n’ai pas besoin de les indiquer à Jasmin ; il les connaît, il s’y rattache invariablement, sans nul effort, comme à une loi qu’il est doux de suivre, et de là l’intérêt soutenu de ses aimables productions, de là cette rectitude, cette sérénité qu’on remarque dans son inspiration. — Heureux homme, disais-je, qui a su régler sa vie sans y laisser place aux calculs vulgaires, sans tenir toujours sa porte entr’ouverte aux bruits du dehors, aux appels des passions corruptrices, et qui, de cette vie paisible, a su faire un foyer actif d’où jaillit par momens la plus belle des poésies, celle qui repose le cœur sans l’énerver et le conduit d’émotion en émotion au sentiment généreux et libre du devoir humain !


CH. DE MAZADE.