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cœurs les plus droits se troublent, voici des pages qui nous rendent le service de nous dire que le bien n’est pas le mal ni le mal le bien, et que, quelles que soient les épreuves de la vérité dans ce monde, le meilleur de tous les calculs est encore de lui rester fidèle.

En plus d’un endroit d’ailleurs, l’à-propos de ces pages semble être un à-propos d’allusions, tant les remarques de l’auteur vont à nos préoccupations actuelles. Parmi les passions qu’examine M. Saint-Marc Girardin, il en est qui naissent de l’institution même de la famille : ce sont la piété filiale, l’amour fraternel, la piété envers les morts, et aussi les passions contraires, les haines des frères, les rivalités des sœurs. Soit qu’il ait à montrer combien les bonnes passions mettent de force et d’honneur au foyer de la famille, ou combien les mauvaises y font de ravages, ce qui ressort de toutes ses réflexions, c’est une image de la seule condition où l’homme ait tout son prix et réalise tout le bonheur dont il est capable, c’est à savoir la famille. M. Saint-Marc Girardin eût-il prévu la guerre impie qu’on lui fait, il n’eût pu mieux lui venir en aide qu’en en traçant des peintures si aimables ; et cette apologie est d’autant plus persuasive, qu’elle n’était point préparée et que les argumens ne sentent pas le plaidoyer. Il est certaines vérités qui perdent plus qu’elles ne gagnent à être discutées par la polémique, car la vivacité de la défense fait croire au danger de la cause. Je m’épouvante si quelque écrit supérieur veut me prouver que j’ai le droit d’aimer mon enfant et de lui laisser le fruit de mon travail ; je me rassure quand je lis un livre qui se contente de reconnaître au fond de mon cœur l’impossibilité éternelle qu’il en soit autrement.

Avant de donner à l’impression ces pages écrites pour un autre temps, M. Saint-Marc Girardin aurait pu être tenté d’y insérer quelque digression contre le socialisme. Il a une plume qui n’est guère plus timide que sa parole à la Sorbonne ; c’est cette plume qui écrivait, il y a dix-huit ans, le mot prophétique de barbares. Mais aucune critique directe, aucune allusion volontaire ne donne à son livre la date du jour. Sa foi à la famille n’est pas agressive, parce qu’elle n’est pas inquiète ; il n’a pas voulu faire aux insensés qui veulent la détruire l’honneur d’ouvrir une parenthèse à leur adresse dans un livre composé avant qu’ils fissent parler d’eux.

Un autre à-propos de ce livre, c’est cet éternel à-propos des bons livres en tout temps, dans notre pays. Les révolutions, qui n’y peuvent rien contre la famille, n’y peuvent pas davantage contre le plus noble des goûts de notre nation, son honneur, son auréole parmi les nations civilisées, cet amour pour l’art, pour les lettres, pour les ouvrages d’esprit. On lisait même sous la terreur. Condorcet, fuyant les sbires de Fouquier-Tainville, n’avait pas d’argent sur lui, mais il avait un Horace. Il y a toujours en France des lecteurs, même dans les temps