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que les républiques ; que la paix armée du sceptre vaut mieux que le tribun farouche armé de la corde et du glaive. Le beau sort que celui d’un homme libre en France, n’osant pas tourner un coin de rue de peur d’y voir un échafaud qui s’élève[1] !

« Cela est vrai, les États-Unis prospèrent et grandissent : la bannière aux étoiles confédérées est l’arc-en-ciel des nations ; mais nous sommes bien jeunes, nous n’avons point passé par les épreuves de notre foi. Pour une nation, mes amis, cinquante ans sont peu de chose ; il n’y a pas deux règnes de monarques que ce pays appartenait à un roi. Nous n’avons pas revêtu la robe virile, nous ne sommes pas même adolescens, et déjà nous avons des ambitions de czar et de furieuses aspirations vers le pouvoir. Mes amis, ne jugeons pas trop vite ; les années ont beaucoup de leçons en réserve.

« La liberté politique est-elle donc le but suprême ? Non, elle doit être un moyen de bonheur, non un but définitif. Est-ce que l’homme ne reste pas esclave des suprêmes lois, alors même qu’il s’est déclaré maître ? Êtes-vous bien sûrs, ô souverains rois ! d’être en possession de la liberté véritable, c’est-à-dire de la suprême sagesse ? N’ajoutez-vous pas foi à d’incroyables folies ? Quand vous vous dites une grande nation, vous dites vrai, assurément ; mais votre race et la géographie n’y sont-elles pas pour beaucoup ? Vos pères ne se sont-ils pas battus pour vous ? Avant de vous être déclarés libres, ne l’étiez-vous pas en réalité ? Les pèlerins calvinistes avaient semé le germe de votre indépendance ; elle a grandi dans vos solitudes. Souvenez-vous donc, ô souverains rois ! que votre force et votre grandeur vous viennent de ces mêmes institutions monarchiques que vous affectez de mépriser et de ces Anglais dont le sang coule dans vos veines avec leur imperturbable obstination !

« Remplis de préjugés et de superstitions, vous croyez voir la servitude là où vous voyez des chambellans, des couronnes d’or, des manteaux d’hermine, des colonnes de marbre et des palais de rois. La servitude est chez vous ; car le riche y marche sur le pauvre ; elle est dans tout l’univers, d’où la souffrance et le malheur ne seront jamais bannis. Tâchez de les neutraliser ou de les modérer par la vertu ; c’est ce que vous avez à faire de plus excellent. Pour moi, j’aimerais mieux être tranquille sous un roi que soumis à l’oppression de vingt millions de monarques, quand même je serais un de ces monarques.

« Fanatiques et superstitieux que vous êtes, ne croyez-vous pas qu’une béatitude et une sérénité ineffables vont couronner la vieillesse du monde, et que tous les maux vont disparaître de la face du globe ! Apprenez donc, enfans, que tous les maux peuvent être allégés, que le mal en lui-même ne peut se détruire. Partout de grandes réformes sont nécessaires ; nulle part les révolutions sanglantes ne le sont. Certes, la mort est le remède souverain, mais quel malade insensé s’ouvrirait les veines et appellerait la mort pour se guérir ?

« Quant à vous, enfans des États-Unis, voici quelques conseils qui vous regardent : Toutes les démocraties hurlent contre les monarchies, et celles-ci contre les républiques ; ne joignez point vos clameurs à ces cris ridicules, ne vous compromettez pas avec la vieille Europe que le Dieu suprême a séparée de

  1. Cet excès d’exagération appartient tout entier, bien entendu, à M. Hermann Melville.