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d’une guirlande de ces coquillages. À travers les longues feuilles de palmier on apercevait le guerrier courbé sur la pagaïe qu’il tenait à deux mains pour faire avancer le canot immobile ; en face du guerrier, un crâne de mort poli et luisant, planté sur la proue de l’embarcation, arrêtait sur lui son éternel regard et son éternel sourire. Ce chef sauvage était mort dans son canot au moment où, vainqueur, il se dirigeait impatiemment vers le rivage ; une flèche ennemie l’avait frappé. Je me rappellerai toujours ces deux têtes en conversation éternelle : l’activité et le repos, et l’ironie de la mort en face de l’orgueil de la vie. Au milieu de cette calme solitude, les douces ombres des palmiers, — je crois les voir encore, — se penchaient avec une grace infinie et éternelle sur le petit temple funèbre qu’elles protégeaient contre l’ardeur du jour. »


Telles sont les peintures vivantes de ce monde primitif, peintures qui se fondent avec les souvenirs éloignés de l’existence civilisée par une demi-teinte de sarcasme habile et d’un effet vraiment neuf. Une fois en état de marcher, Melville, persuadé que ses hôtes estiment qu’il est à point pour être mangé, choisit son moment et s’enfuit muni de quelques provisions. Une nouvelle traversée le ramène aux rives de l’Atlantique, où il débarque sain et sauf, tout-à-fait guéri de la passion des aventures.

La valeur réelle de ces deux ouvrages consiste, on le voit, dans la vivacité des impressions et dans la légèreté du pinceau. Séduit par son premier succès, l’auteur essaya ensuite d’écrire un nouveau livre humoristique (Mardi ou le Voyage là-bas) ; gêné par la fausse réputation d’inventeur qu’on lui avait faite, il se mit en frais pour la mériter ; il essaya de déployer les trésors d’imagination qu’on lui prêtait ; nous allons dire comment il a réussi.

D’abord, en bon commerçant, ne voulant pas perdre le crédit que sa première affaire avec l’île de Tior lui avait rapporté, il ne quitta pas la Polynésie, ce qui était une première faute. Ensuite il prétendit se montrer absolument original ; seconde erreur. On n’est guère original à volonté. La critique est absurde quand elle reproche aux Américains de manquer d’originalité dans les arts ; l’originalité est une chose qui ne se commande pas et qui vient tard ; peuples et hommes commencent nécessairement par l’imitation. L’originalité n’appartient qu’aux esprits mûrs, qui ont parfaite conscience de leur profondeur et de leur étendue ; l’enfance n’est jamais originale. Cette prétention d’excessive nouveauté n’a fini par aboutir ici qu’à un gauche et singulier mélange de comédie grotesque et de grandeur fantastique qui ne se retrouve dans aucun livre. Rien de fatigant comme ce mélange du pompeux et du vulgaire, du lieu-commun et de l’inintelligible, d’une rapidité violenté dans l’accumulation des catastrophes et d’une lenteur emphatique dans la description des paysages. Ces divagations, ces ornemens, ces graces, ce style fleuri, festonné, tout en astragales, res-