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les hypothèses de Jean-Jacques, un certain mélange de gastronomie cannibale.

Néanmoins les choses s’annonçaient bien pour nos aventuriers ; on les laissa dormir ; à leur réveil, les beautés de l’endroit se montrèrent agaçantes et peu sévères ; évidemment on traitait les étrangers comme des curiosités précieuses. Le roi Méhévi, qui les avait pris sous sa protection particulière, revint bientôt les honorer d’une visite d’étiquette ; il était en grand costume.


« Je le vis abaisser sous la porte cintrée et peu élevée de l’habitation le superbe diadème de plumes qui flottait sur sa tête. Il s’avançait au milieu des sujets de l’endroit qui se retiraient avec respect et lui faisaient place. Je restai comme ébloui de sa splendeur barbare. Un demi-cercle de plumes de coq, entremêlées des plumes éclatantes de l’oiseau des tropiques, se dressait sur son front et venait rejoindre, en forme de croissant, un bandeau de graines écarlates qui brillaient sur son front verdâtre. Plusieurs énormes colliers, faits de défenses de sanglier, polies comme l’ivoire, étaient étagés sur sa vaste poitrine ; les plus gros se balançaient majestueusement sur son abdomen. En guise de boucles d’oreilles, il portait deux dents de baleine dont la pointe aiguë tournait derrière l’oreille et dont la cavité placée en avant était remplie de feuilles fraîches et de fleurs variées qui s’en échappaient comme de deux cornes d’abondance. L’autre bout, sculpté avec beaucoup de recherche et taillé à jour, présentait mille dessins et des bas-reliefs fantastiques. Sur les reins du guerrier et retombant des deux côtés en plis élégans et massifs se nouait un morceau d’étoffe brune et moelleuse faite de l’écorce nommée tappa, que terminaient des torsades, et des festons tressés avec art. Les bracelets de cheveux humains, qui ornaient ses bras et ses pieds, complétaient ce costume unique. Il brandissait dans sa main droite une arme de près de quinze pieds, admirablement sculptée, faite du bois brillant et rouge que les indigènes nomment kaure et destinée à servir à la fois de lance et de pagaïe, très affilée d’un bout et de l’autre aplatie. Une pipe richement décorée était rattachée obliquement à sa ceinture par un nœud d’écorce ; le tuyau en était rouge et très mince, et de petites banderoles de tappa y étaient suspendues ainsi qu’à la cheminée de la pipe. Il y avait assurément de la majesté et de la grace dans l’ensemble de ce costume original. »


Le jeune matelot américain se laisse séduire par le premier éclat de cette royauté barbare ; nous le verrons tout-à-l’heure céder aussi facilement aux voluptés du harem. Méhévi, bonhomme de roi et cannibale agréable, fait venir le Dupuytren du pays, un vieux chirurgien qui commence à masser, frotter et pétrir la jambe malade de Melville jusqu’à ce que le blessé demande grace. Cependant il va mieux, et le roi lui donne pour domestique un sauvage assez intelligent, nommé Kori-Kori ; puis on confie le soin de sa personne au propriétaire d’une jolie maison, nommé Marheyo, dont la femme, appelée Tinor, était la seule personne laborieuse de tout le village. Ce couple avait trois fils, dandies sauvages, qui passaient leur vie à fumer, à boire et à faire la