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de persévérance et d’audace, nous servant de racines d’arbres et d’arbustes comme de marches et d’échelons pour gravir cette élévation nouvelle, nous finîmes pan vaincre l’obstacle au risque de nous rompre cent fois le cou ; puis nous reprîmes notre course avec une célérité extrême. Nous avions abordé le matin de très bonne heure ; nous n’avions pas cessé de monter, sans jamais nous retourner du côté de la mer. Il pouvait être six heures du soir. Enfin nous nous trouvâmes assis sur le pic central le plus élevé de file, un immense pic basaltique enveloppé de toutes parts de fleurs et de végétations parasites, s’élevant à près de trois mille pieds au-dessus du niveau de la mer comme une grande corbeille de pierre. Le point de vue était magnifique. »


Toute cette peinture a le mérite de reproduire vivement la réalité. Nos déserteurs, qui avaient peu de provisions et dont le pain et le tabac s’étaient confondus dans leurs poches, finissent par arriver à une espèce de ravine ou de trou profond dont la description est fort curieuse :


« La scène naturelle qui nous accueillit se grava vivement dans mon souvenir. Cinq torrens, ou plutôt cinq avalanches écumeuses tombant de cinq ouvertures ou gorges, et enflées des eaux de la pluie, s’unissaient en un seul tourbillon furieux qui s’élançait de quatre-vingts pieds de haut et se déchargeait avec un effroyable bruit au fond d’un entonnoir creusé dans les rocs entassés autour de nous ; de là le courant tempestueux, engagé dans un étroit passage, semblait aller se perdre dans les profondeurs mêmes et les entrailles de la terre. Une voûte formée de racines gigantesques et des branches séculaires des arbres voisins tremblait sous le choc perpétuel des cascades grondantes, et faisait pleuvoir de sa longue chevelure une incessante pluie. Les lueurs enflammées du jour qui mourait pénétraient avec un tremblement mélancolique à travers cette arcade humide, de manière à en rendre l’aspect plus affreux et plus bizarre, et à nous rappeler que bientôt les ténèbres viendraient nous envelopper. Quand j’eus examiné notre nouvel asile, je me demandai comment il se pouvait faire que j’eusse pris pour un sentier le sillon qui nous avait conduits à un tel endroit, et je commençai à croire que les sauvages n’avaient certainement pas frayé cette route tout-à-fait inutile. Toutefois il y avait quelque chose de rassurant dans l’idée qui diminuait pour nous les chances de rencontrer à l’improviste ceux que nous redoutions, et ma conclusion fut que nous n’avions rien de mieux ré que de profiter d’une cachette précieuse pour notre sécurité. Toby pensa de même ; immédiatement nous nous mîmes à bâtir une hutte temporaire avec des branchages et des débris d’arbres. Force nous fut de la construire presque au pied de la cataracte ; les eaux occupaient le reste de l’espace. Pendant le peu de temps que nous avions encore à employer avant que la nuit tombât, nous couvrîmes le toit avec des touffes de gazon humide qui poussaient dans les fissures des rocs. Notre hutte, et ce nom même était fort prétentieux, consistait en une demi-douzaine de branches placées obliquement contre la paroi du roc, un des bouts touchant au lit du torrent ; nous rampâmes pour nous abriter sous cette espèce d’auvent et, pour y reposer de notre mieux nos membres épuisés. Ce fut une nuit horrible, et jamais je ne l’oublierai. Toby, dont la voix m’aurait consolé, était devenu incapable de prononcer un mot ; le