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Comme on sait, le vœu des villes saxonnes de la Transylvanie et un intérêt d’humanité l’avaient appelée à Hermanstadt, ce qui a procuré au général Bern l’occasion de l’en repousser avec une certaine rudesse. Depuis lors elle est rentrée dans l’expectative, sans doute moins affligée qu’on ne pense de contempler de sa frontière fortement gardée l’anarchie dans laquelle se débattent et s’épuisent les peuples de l’Autriche. Ce serait une histoire bien riche en enseignemens que celle des avantages retirés par le cabinet russe dans les révolutions qui, depuis le premier partage de la Pologne, ont affaibli l’Europe. On ne saurait dire que la Russie ait depuis lors illustré son nom par beaucoup de victoires, et cependant quelle est la crise européenne d’où elle ne soit sortie avec un agrandissement notable, avec un lambeau de quelque pays voisin ? La Russie d’à présent n’est pas autre chose qu’une conquête permanente et progressive sur les révolutions de l’Europe conduites à tort et à travers par l’irréflexion des révolutionnaires.

S’il est un pays à l’égard duquel la Russie ait pratiqué avec succès ce système d’envahissement continu à la faveur des insurrections politiques ou religieuses, c’est la Turquie. Une révolution nouvelle, conséquence de la nôtre, est venue l’année dernière fournir au cabinet de Saint-Pétersbourg l’occasion d’occuper les deux principautés de la rive gauche du Danube. Il fallait, suivant M. de Nesselrode, il fallait pour le bien de la Turquie et de la civilisation étouffer les germes du socialisme importé de l’Occident ; et, couverte sous ce beau prétexte, la Russie a trouvé le moyen d’établir dans cette merveilleuse position militaire qui domine l’empire de Turquie et celui d’Autriche un campement de quatre-vingt-dix-sept mille hommes. Tant de baïonnettes pour mettre à la raison le socialisme valaque ! En conscience, le chiffre est fort, et c’est bien de la générosité. Il est vrai que l’entretien de cette armée coûte peu au budget du czar ; ce sont les Moldo-Valaques qui paient, non point de l’argent qu’ils ont, étant ruinés par les premiers mois de l’occupation, mais de l’argent que la Russie leur avance bénévolement, ce qui formera, pour peu que l’occupation se prolonge, un capital honnête dont les principautés auront peut-être quelque peine à se libérer dans l’avenir. Qu’importe ! elles n’en devront que plus de reconnaissance à la cour protectrice, en attendant qu’il lui plaise exiger la liquidation de la nationalité moldo-valaque.

Quel langage tient la Turquie en présence d’un pareil abus dans l’interprétation des traités ? Comment envisage-t-elle cette funeste occupation qui est à la fois une lésion de ses droits et une menace perpétuellement suspendue sur Constantinople ? La Turquie est animée des intentions les plus sensées et les plus droites ; elle proteste, elle occupe à son tour le territoire moldo-valaque, elle y maintient aussi haut qu’elle peut le drapeau de la suzeraineté ; elle paie au comptant toutes les dépenses de son armée, elle se concilie par la modération de sa politique la confiance et la sympathie des Moldo-Valaques ; elle s’étudie avec une activité nouvelle dans son administration à mettre les populations slaves des provinces de la rive droite en garde contre les provocations du panslavisme moscovite plus ardent que jamais ; elle continue ses armemens, elle les élève à cent quinze mille hommes de troupes régulières, et elle appelle ses quatre-vingt mille hommes de vieux soldats de réserve. Enfin elle se prépare à faire face à tout événement. Cependant, lorsque, dans l’éventualité d’une rup-