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remplit son double rôle de surveillante de l’Autriche et d’observatrice des factions parisiennes. Au sud, elle est une avant-garde contre l’Autriche, si l’Autriche se laissait aller en Piémont à l’esprit de conquête ; au nord, elle est l’arrière-garde de l’armée qui veille au repos de Paris. Pendant qu’il inspecte les divers corps de son armée, le maréchal Bugeaud se fait dans les contrées qu’il parcourt le missionnaire de l’ordre, et il faut voir quel est le succès de ces missions que le maréchal s’est données, et qu’il remplit avec cette verve et ce bon sens qui le font aimer du soldat et du peuple. Quand nous parlons du peuple, nous parlons du vrai peuple, de celui que le maréchal aime et qui aime le maréchal, de celui qui laboure et qui défriche, de celui qui a le bon sens commun et qui applaudit de si grand cœur le maréchal Bugeaud, parce qu’il retrouve dans ses paroles ce bon sens commun. Partout où va le maréchal, sa maison ne désemplit pas depuis sept heures du matin jusqu’à six heures du soir, et toujours parler à ces braves visiteurs, les encourager, aider leurs bons sentimens par l’espérance du succès, voilà le métier que le maréchal Bugeaud fait depuis trois mois. Tout autre y succomberait ; il ne s’en porte que mieux. Le but qu’il veut atteindre lui donne de la force pour supporter les banquets, les bals, les harangues. Quelqu’un nous écrivait dernièrement, après la visite du maréchal dans les départemens de l’Isère et de la Drôme, qu’à voir l’empressement et la joie des populations, c’était comme si le maréchal les avait délivrées de l’occupation des Cosaques, et notre correspondant ajoutait « qu’il ne craignait pas moins les Cosaques du faubourg Saint-Antoine que les Cosaques du Don. » Nous ajoutons nous-mêmes que le mal, c’est que les uns finiraient par amener les autres.

En attendant que les Cosaques des faubourgs parisiens aient repris la force ou la présomption des jours de juin, l’assemblée nationale leur a rendu la parole : elle a permis l’affichage des placards, et le premier placard affiché a semblé vouloir enseigner quels étaient les hommes dont l’assemblée a voulu ranimer les espérances. Sont-ce là, bon Dieu ! les orateurs funèbres que l’assemblée prépare pour ses funérailles ? Le citoyen Rasetti, président du comité des communistes révolutionnaires, commence par déclarer « qu’il est un droit antérieur, préexistant même à toute société, celui de vivre ! » Oui, mais point de vivre aux dépens d’autrui, aux dépens de la société. Ne dirait-on pas qu’on entre en société pour n’avoir rien à faire et pour être nourri gratis ? Aussi bien, vivre ne suffit pas, et le placard explique ce qu’il faut entendre par vivre. « Nous entendons par vivre le développement complet de toutes nos facultés et la satisfaction entière de tous nos besoins. » Voilà la périphrase du mot de M. Considérant l’humanité veut jouir. Le peut-elle ? L’idée de supprimer le mal ici-bas et de réaliser dès ce monde le royaume de Dieu est une idée qui n’est pas neuve ; mais les prophètes de nos jours, quoiqu’ils badigeonnent de temps en temps leurs systèmes d’un vernis sacrilège de christianisme, me semblent, en vérité, procéder du Coran plutôt que de l’Évangile ; car c’est le paradis matériel de Mahomet qu’ils promettent ici-bas. Mahomet, plus habile, le faisait croire et espérer pour l’autre monde. Nos Mahomets veulent le donner dès aujourd’hui : aussi en prennent-ils les moyens dans le budget. Il n’y a que le trésor public, en effet, qui puisse réaliser le paradis de Mahomet. Et pendant combien de temps, hélas ? Pendant le temps de le vider, ce qui n’est pas long.

Aussi bien, quand nous parlons de Mahomet à propos des socialistes, nous