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      N’oublides pas un seul moumen
      Que des paoures la grando cloûco
Se rebèillo toutjour dambé lou rire en boûco,
      Quan s’endron sans abé talen !  !

« … Le peuple, plus fort maintenant qu’il sait davantage, — garde à l’abri du mal sa belle page blanche. — Il n’a pas le cœur noir comme on nous l’avait peint ; — il veut rester agneau, pourvu qu’il ait un brin d’herbe au pré, — et si on l’a vu lion, c’est quand l’herbe lui manquait. — Riches, mettez-en donc en réserve pour lui, — pour les grands froids, quand il n’a plus ni manne, ni soleil, — et vous serez bénis, et toute la semaine — vous amasserez une moisson d’amour de chaumière en cabane — … Interrogez les apôtres de notre âge — que saint Vincent de Paul choisit et qui s’en vont — guérir chez le vieillard et chez l’enfant — les plaies que font le froid et la misère : — eux qui voient tout, ils vous diront — qu’à peine la blessure fermée, — la mère rassemble autour d’elle ses petits — et dit : « Pauvrets à genoux ! — il faut prier Dieu pour « les riches maintenant, — car les riches se font meilleurs. » — Ils vous diront que les pères, dans la rigueur de la saison, — abaissent un bras de fer autrefois menaçant, — et se disent entre eux : « Nos anciens malheureux, — faute d’un baume consolateur, — renversaient les châteaux ; nous autres étayons-les, — car les riches se font meilleurs ! » — Riches, ne changez plus et que tout vous prospère. — Sur de moelleux tapis coulez heureusement — des jours de soie et de miel et d’encens ; — mais, pour que rien ici pour vous ne soit amer, — n’oubliez pas un seul moment — que du pauvre la grande couvée — se réveille toujours avec le rire sur les lèvres, — quand elle s’endort sans avoir faim ! »


Malheureusement cette plaie terrible de la pauvreté, il n’est peut-être au pouvoir de personne de la guérir, de la supprimer entièrement. Toutes les recettes économiques, toutes les combinaisons rêvées peuvent-elles arriver à autre chose qu’à la déplacer ? N’est-ce point une des faces de la couleur humaine qui tient à l’essence même de notre nature ? Mais si c’est un problème insoluble de chercher à extirper le principe même de cette plaie, il est du moins donné à tous, au poète comme à l’homme d’état, de l’adoucir, d’en tempérer l’amertume, en pacifiant, en élevant les cœurs au lieu de leur souffler la haine et la guerre, en développant ces germes de sympathie mutuelle que Dieu a placés en nous comme un des signes les plus manifestes de notre grandeur morale. L’auteur des Souvenirs ne l’oublie pas plus dans ses vers que dans ses actions. Nul n’a eu de plus éloquentes inspirations pour chanter la charité, — non celle qui se fait avec faste, qui aime à se laisser voir et humilie la fierté humaine, mais cette charité active, qui va sans bruit, dans l’ombre, chercher ceux qui gémissent, soulager tous les dénuemens, qui laisse à la misère sa dignité, et est la réalisation de ce mot sacré : Qui donne aux pauvres prête à Dieu.