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Il soit châtié sur la terre !
Que dans le ciel il soit maudit !

Ce dernier mot répété plusieurs fois avec une énergie toujours croissante produit un effet extraordinaire. Un chœur de jeunes enfans revêtus d’aubes blanches s’avancent sur le devant de la scène en chantant une mélodie limpide et pleine de grace.

L’orgue se tait, la cérémonie est terminée, et Jean paraît sur le haut du grand escalier qui conduit au choeur. Couvert des habits impériaux, la couronne sur la tête, Jean, qui voit une foule immense de peuple prosternée à ses pieds, commence à croire que son rêve est accompli. Il dit avec émotion : « Oui, je suis l’élu… le fils de Dieu ! » À ce mot, Fidès se retourne, contemple le prophète qu’elle n’avait pas encore vu, et s’écrie avec transport : « Mon fils ! » Les trois anabaptistes, un poignard à la main, s’approchent aussitôt de Jean et lui disent tout bas : « Si tu parles, elle est morte. » La situation devient pathétique. Jean veut sauver les jours de sa mère, et il est obligé de la méconnaître. « Quelle est cette femme ? dit-il d’un ton indifférent. — Qui je suis ? répond-elle avec indignation.

Je suis la pauvre femme
Qui t’a nourri, t’a porté dans ses bras !

La phrase musicale qui traduit ces paroles est pleine de tendresse, et nous voudrions pouvoir en dire autant de celle qui se trouve sous le vers suivant :

L’ingrat ne me reconnaît pas !

Ce qui est vraiment beau, c’est le récitatif dans lequel Jean provoque Fidès à le désavouer en lui demandant avec anxiété : « Suis-je ton fils ? » La réponse du chœur : « Parlez ! parlez ! » est énergique et pressante, tandis que celle de la mère tremblante et indignée : « Non, tu n’es pas mon fils ! » semble contenir une double signification. Ce dialogue terminé, les masses chorales et instrumentales s’emparent du thème et achèvent avec puissance cette grande scène dramatique. Mais pourquoi donc le finale que nous venons d’analyser et qui renferme des parties si remarquables ne produit-il pas tout l’effet qu’on pourrait désirer ? C’est qu’il y manque une idée fondamentale, un motif générateur auquel on puisse rattacher les nombreux épisodes qui se succèdent. Il faut, ce nous semble, qu’un vaste tableau musical soit conçu de manière qu’en fermant les yeux l’oreille puisse suivre la passion à travers les transformations que le poète lui fait subir ; c’est ce qu’on appelle la loi d’unité, si nécessaire aux œuvres de l’esprit humain. Nous aurions aussi à reprocher à l’orchestration de ce finale, d’ailleurs si remarquable, d’être parfois un peu recherchée. Est-il bien certain, par exemple, que le tintement de clochette qui se fait entendre dans le chœur des enfans, ainsi que l’accompagnement continu de la clarinette-basse employé