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but indiqué. Le défaut que nous reprocherons surtout à la conception de M. Scribe, c’est que l’amour, qui doit toujours être la passion dominante dans un drame lyrique, n’y joue qu’un rôle secondaire. Berthe, la fiancée du héros, est un personnage insignifiant, le sentiment qu’elle inspire et qu’elle partage n’est point une cause déterminante dans la destinée de son amant. Jean de Leyde lui-même ne montre pas la vigueur et l’individualité puissante qu’il a dans l’histoire. Il est le jouet des événemens au lieu d’en être le mobile, il est plutôt l’instrument de trois fourbes qui spéculent sur sa crédulité qu’un fanatique profond qui marche où le pousse la force intérieure de sa propre énergie. M. Scribe commet souvent la faute de prêter à ces grands personnages qui ont agité le monde la politique raffinée de nos diplomates modernes.

Quoi qu’il en soit de nos observations, il est un caractère qui relève la fable du Prophète et lui donne une physionomie toute particulière ; nous voulons parler de Fidès, la mère de Jean de Leyde. C’est une véritable création que cette figure de femme pieuse, forte et tendre, qui, agenouillée dans la cathédrale de Munster, où elle vient implorer le Dieu de ses pères pour un fils qu’elle croit perdu, maudit au fond de son ame l’imposteur qui ose se proclamer l’envoyé de Dieu. Rien de plus pathétique que la scène du quatrième acte où Fidès reconnaît, sous les traits du faux prophète, celui qu’elle a nourri de son lait et de sa foi. Rappellerai-je aussi celle du cinquième acte où Fidès, rayonnant de sa double majesté de mère et de chrétienne, fait tomber à ses pieds l’enfant égaré par de pernicieuses doctrines ? Il y a un sens profond dans cette scène vraiment biblique, qui achève de révéler l’admirable caractère de cette femme en qui se résume tout l’intérêt du drame, et qui est certainement l’une des créations les plus saisissantes du génie de M. Meyerbeer.

C’est M. Meyerbeer, c’est le musicien maintenant qui, seul, doit nous occuper. Il n’est pas inutile peut-être de rappeler quelles créations diversement éclatantes et sérieuses expliquent et préparent, dans la vie musicale de M. Meyerbeer, la conception du Prophète. Né à Berlin en 1794, d’une famille dont l’opulence aurait étouffé une volonté moins énergique, M. Giacomo Meyerbeer révéla, dès sa plus tendre enfance, sa vocation pour l’art musical. Comme tous les grands compositeurs dramatiques de l’Allemagne, M. Meyerbeer commença d’abord par être un virtuose remarquable sur le piano, dont il apprit les principes d’un élève de Clementi. Après avoir étudié l’harmonie et les élémens de l’art d’écrire sous la direction du chef d’orchestre de l’Opéra de Berlin, Bernard-Anselme Weber, il quitta sa ville natale pour aller à Darmstadt prendre des leçons de contrepoint de l’abbé Vogler, qui passait pour le plus grand théoricien de l’Allemagne. C’est dans cette paisible et charmante résidence, et sous la discipline sévère de l’abbé Vogler,