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rôle. Il ne veut pas mentir plus long-temps, et avoue à la duchesse qu’il ne l’aime plus, qu’il aime une autre femme. Son nom ? Il ne consent pas à le dire. Je me vengerai, dit la duchesse. Je saurai son nom, aucune puissance humaine ne pourra la dérober à ma colère. Au bruit des voix joyeuses qui éclatent dans la chambre voisine, la duchesse se croit surprise par son mari, et s’écrie : Si le duc me voit, je suis perdue. Cette crainte paraîtra sans doute exagérée à tous ceux qui se souviendront de l’entretien de la duchesse avec l’abbé au premier acte. Une femme qui sait toute la vie de son mari, qui connaît jour par jour ses moindres aventures, qui met de moitié dans ses amours la maîtresse de son mari, qui emprunte sa main et sa petite maison pour donner rendez-vous à son amant, ne doit pas trembler à si bon marché. Ne peut-elle pas d’un mot imposer silence à la colère ? Vous me demandez comment je me trouve ici ? J’y suis venue pour vous épier, pour vous confondre. Pourtant la duchesse s’enfuit et se cache. Le duc croit que Maurice a donné rendez-vous à la Duclos, et doute encore, malgré les dénégations réitérées de Maurice. Adrienne, à son tour, en voyant Maurice, en écoutant les railleries et les complimens que le duc et l’abbé adressent au comte, s’étonne et s’alarme ; mais un mot de Maurice suffit pour la rassurer : Je t’aime, je n’aime que toi ; la femme cachée ici n’est rien pour moi ; mais il faut la sauver, et tu la sauveras, j’ai compté sur toi. Adrienne, heureuse et confiante, promet de la sauver. Les deux femmes échangent dans l’ombre quelques paroles inquiètes ; sans se deviner mutuellement, elles pressentent d’une façon confuse qu’il y a entre elles un secret terrible. Cependant Adrienne, fidèle à sa promesse, livre à la duchesse la clé que le duc lui a remise, et la duchesse peut enfin s’échapper par le jardin ; mais, en quittant Adrienne, elle prononce quelques mots menaçans auxquels Adrienne répond avec un accent de bienveillance écrasant : Vous me haïssez, je vous protège.

Au quatrième acte, nous retournons chez la duchesse. Tous ses amis sont réunis pour entendre Adrienne. Cette fête est, pour Mme de Bouillon, une double joie. Non-seulement elle reçoit chez elle une comédienne adorée de la foule, adorée de la cour ; mais ce soir même Mme de Noailles donne une fête où elle voulait inviter Adrienne ; Mme de Bouillon a été assez heureuse pour deviner, pour prévenir le projet de Mme de Noailles. Les soupçons de la duchesse, qui d’abord s’étaient portés sur Mme d’Aumont, prennent une direction nouvelle dès qu’Adrienne a parlé. À l’embarras de Maurice placé près de la duchesse, Adrienne devine sa rivale, sa rivale qu’elle a sauvée la veille. Au timbre voilé de cette voix qu’elle n’a entendue qu’un instant, la duchesse reconnaît la rivale qui lui a ravi le cœur de Maurice et jure de se venger. Adrienne, qui pressent le danger et ne veut pas succomber sans défense, récite en se tournant vers la duchesse les vers adressés par Phèdre à OEnone.