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sérénité habituelle de sa pensée. Michonnet s’aperçoit qu’Adrienne n’est pas livrée tout entière au soin de sa gloire dramatique et la supplie d’être belle. « Sois tranquille, mon ami, répond Adrienne, je serai belle, j’en suis sûre, car il m’aime, car je l’ai vu ce matin, et ce soir il sera là, il me l’a promis, je le verrai, je serai belle, je serai sublime ; » et Adrienne se remet à étudier son rôle. Maurice, en entrant au foyer de la Comédie-Française, invoque les ombres glorieuses dont le souvenir remplit sa pensée, sans qu’il soit possible de deviner s’il veut parler des grands poètes qui ont fondé le théâtre ou des comédiens habiles qui ont interprété leurs ouvrages. Il aperçoit Adrienne et la serre dans ses bras. Quelle joie, quel bonheur de se revoir après une si longue absence ! Ici commence un dialogue où la passion n’est pas toujours exempte d’emphase et de puérilité. Si Adrienne aime vraiment Maurice, elle n’a pas besoin, pour lui inspirer de nobles sentimens, d’héroïques projets, de demander conseil aux tragédies de Corneille. Pauline, Émilie, Camille, n’ont rien à lui apprendre. Son cœur, comme tous les cœurs vraiment épris, nourrit en lui-même une flamme généreuse, et le souvenir de Pauline et de Camille, loin de prêter, aux paroles d’Adrienne un accent plus poétique, leur donne volontiers quelque chose de factice. Quant à la fable des Deux Pigeons, je ne vois pas trop ce qu’elle vient faire dans cet entretien passionné. J’admire profondément la fable des Deux Pigeons, mais je ne comprends pas comment ce récit, d’une simplicité si touchante, se trouve mêlé aux amours d’Adrienne et de Maurice. Maurice avait emporté, en quittant Paris, Corneille, Racine et La Fontaine. Le lendemain d’une bataille, il relisait avec délices les beaux vers qu’il avait entendus de la bouche d’Adrienne. En écoutant Pauline et Camille, il croyait l’écouter elle-même. À la bonne heure ! Mais La Fontaine, il n’a guère songé à l’ouvrir, quoiqu’il l’eût reçu des mains d’Adrienne. Il ne connaît pas même la fable des Deux Pigeons, et, pour ma part, je ne m’en étonne pas. Je serais bien surpris, au contraire, si Maurice parlait de La Fontaine comme de sa lecture familière. Le duc de Bouillon, qui se croit trompé par la Duclos et qui se réjouit de sa trahison, invite à souper toute la Comédie-Française. Adrienne consent à se montrer dans cette fête, et reçoit du duc lui-même la clé de sa petite maison.

Au troisième acte, comme chacun l’a déjà deviné, Adrienne, Maurice et la duchesse de Bouillon se trouvent réunis. Cependant Maurice n’est pas un seul instant placé entre ces deux femmes. La duchesse arrive la première au rendez-vous, et ne cache pas son dépit. Au moment où l’impatience va devenir de la haine, Maurice paraît et se justifie. S’il a tardé si long-temps, c’est qu’il a été suivi. La duchesse l’écoute en souriant, et accepte comme vraies toutes ses excuses. Alors, mais alors seulement, Maurice comprend toute la misère de son double