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la duchesse de Courlande le rôle d’amant passionné. La duchesse, justement irritée, le congédia sans vouloir l’entendre, et fit bien. Un homme capable de se partager ainsi entre deux femmes est-il vraiment capable d’aimer ? Que les cœurs sincères se chargent d’écrire la réponse. Dans ce partage de sa personne, Maurice ne pouvait invoquer l’entraînement des sens, car la jeune et belle fille qu’il prenait chaque nuit à sa fenêtre et qu’il rapportait avant l’aube s’était donnée à lui. Pourquoi donc prodiguait-il à une femme qu’il n’aimait pas les sermens et les caresses que la jeune fille avait seule le droit de revendiquer ? Pourquoi ? C’est qu’il n’aimait pas d’un amour sincère celle qu’il croyait aimer, c’est qu’il n’y avait pas place dans son cœur pour une passion exclusive, pour une passion souveraine. L’infidélité était pour lui sans remords, parce qu’il se trompait lui-même, parce qu’il s’abusait sur la nature de ses sentimens ; il trahissait sa maîtresse sans trouble, sans honte, parce qu’il ne la préférait pas au monde entier. Si le plaisir était plus vif dans les bras de la jeune fille, la duchesse abusée servait l’ambition de Maurice, et cette seule pensée imposait silence au repentir.

Adrienne Lecouvreur a tenu dans la vie du comte de Saxe moins de place peut-être que la fille d’honneur de la duchesse de Courlande ; peut-être ne l’a-t-il pas aimée d’un amour plus vrai, plus sincère ; mais comme elle était entourée d’hommages, comme les seigneurs de la cour s’empressaient autour d’elle, comme les plus grands esprits louaient à l’envi sa grace, sa beauté, la finesse de ses reparties, la sagacité de ses jugemens, la vanité le ramenait près d’elle, et sa crédule maîtresse inventait, pour lui pardonner, un repentir qu’il ne connaissait pas. Il ne paraît pas d’ailleurs que la mort d’Adrienne ait été pour Maurice une douleur bien profonde. Les femmes de la cour, à cette époque, n’étaient pas d’une vertu farouche, et le comte de Saxe trouva sans peine, à Versailles, des consolations.

Le mariage et le divorce de Maurice figurent comme un épisode insignifiant parmi ses aventures galantes. Avait-il à se plaindre de sa femme ? Aucun témoignage n’autorise à le croire. Elle l’aimait et ne pouvait cacher sa jalousie ; car Maurice, malgré la beauté et la jeunesse de sa femme, n’avait pas tardé à la tromper. Après avoir vécu loin d’elle pendant plusieurs années, il profita d’un voyage entrepris pour recueillir la succession de sa mère et se dégagea d’un lien qu’il n’avait jamais pris au sérieux.

Un tel personnage convient-il au théâtre ? Un cœur ainsi fait, pour qui l’amour n’est qu’une distraction, peut-il prendre part à une action dramatique ? Il est permis d’en douter, car le poète se trouve placé entre deux écueils. S’il respecte fidèlement les données de l’histoire, il ne peut engager Maurice de Saxe que dans une action politique, et l’homme court le danger de s’amoindrir dans la grandeur des événemens ; s’il veut au contraire l’engager dans une action passionnée, il