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un peu voilé, trouvait pour toutes les nuances de l’émotion ou de la pensée des inflexions si variées ; il y avait dans toute sa personne tant de jeunesse et de mobilité, tant de grace imprévue et de hardiesse souveraine, que les spectateurs, fascinés par le charme de sa diction, par l’expression de son visage, oubliaient complètement la comédienne et ne voyaient plus que l’héroïne. À cet égard, les témoignages les plus imposans se présentent en foule : il nous suffira d’en citer un seul, celui de Voltaire.

Adrienne Lecouvreur fit au théâtre une véritable révolution. À l’époque de ses débuts, la déclamation tragique et parfois même la déclamation comique n’étaient guère qu’une sorte de cantilène ; cette cantilène, pour n’être pas notée, n’en était pas moins soumise à des lois inexorables ; il n’était permis à personne, sous peine d’encourir le dédain ou la colère de l’auditoire, de violer les traditions musicales d’un rôle établi par le chef d’emploi. Mlle Duclos, née en 1664, c’est-à-dire vingt-six ans avant Adrienne Lecouvreur, était alors en possession de la faveur publique ; déclamer autrement qu’elle, parler au lieu de chanter, substituer la familiarité à l’emphase, le ton simple et naturel aux grands effets de voix, régler ses inflexions d’après le mouvement même de la passion, semblait une témérité. C’était rompre en visière à tous les préjugés de la foule, c’était lui déclarer nettement qu’elle était depuis longues années engagée dans une ornière ridicule. Pourtant Adrienne n’hésita pas un instant. Comme elle avait eu le bonheur de ne pas recevoir les leçons d’un maître applaudi, comme elle s’était nourrie surtout de lecture et de réflexion, comme elle avait comparé librement l’idéal de Monime, de Roxane, de Pauline, de Cornélie, aux étranges personnifications que la foule admirait, comme elle avait consulté sa conscience, interrogé son cœur, sans tenir compte des maximes consacrées, la vérité même, la vérité simple et austère, était pour elle une plaine unie ; pour se montrer naturelle, pour traduire fidèlement la pensée du poète, Adrienne n’avait qu’à s’écouter, et son cœur se peupla bientôt de souvenirs. Voltaire, si nous en croyons une lettre adressée par lui à Thiriot un an après la mort d’Adrienne, fut son admirateur, son ami et son amant. D’Argental fut moins heureux ; nous avons deux lettres charmantes d’Adrienne, où se montre à nu toute la loyauté de son ame : la première est adressée à Mme de Ferriol, mère du comte d’Argental ; la seconde à M. d’Argental lui-même. Mme de Ferriol voulait exiler son fils pour le guérir de sa passion pour Adrienne ; Mlle Lecouvreur supplie Mme de Ferriol de garder son fils près d’elle et lui demande conseil sur la conduite qu’elle doit tenir envers lui. Elle offre, elle promet de lui écrire dans les termes qui paraîtront à Mme de Ferriol les plus sages, les plus décisifs. Adrienne avait dix ans de plus que M. d’Argental, et, pour le guérir, elle prend avec lui un accent maternel. Il est impossible de lire ces deux lettres