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aux maîtres déjà éprouvés et aux jeunes talens qui promettent le plus, d’assurer et d’agrandir leurs facultés dans ces nobles luttes de la grande peinture. L’Allemagne nous avait devancés dans cette voie. Cette éducation que nous réclamons pour nos peintres n’a pas manqué depuis trente ans aux écoles allemandes, et beaucoup de talens habiles y ont acquis une élévation inattendue. Quel que soit cependant le mérite de M. Cornelius, de M. Schnorr, de M. Kaulbach, quelque sympathie qu’on éprouve pour les larges fresques de M. Philippe Veit à Francfort, pour les suaves compositions de M. Steinlé à la cathédrale de Cologne, l’école française est assez forte pour maintenir sa supériorité, même dans ce nouveau domaine, si les circonstances lui permettent d’y déployer toutes ses ressources. La France républicaine, souhaitons-le pour sa gloire, continuera ce qu’avait commencé la monarchie ; elle imprimera à l’art une impulsion nouvelle en lui ouvrant les grands travaux destinés aux jouissances et à l’éducation du peuple. La ville de Nîmes a donné un bel exemple. Au milieu des désastres de l’année dernière, elle n’a pas retranché de son budget les sommes nécessaires à la décoration de l’église Saint-Paul. Cette bonne pensée a obtenu sa récompense. Les peintures de M. Hippolyte Flandrin vont être livrées au public, et elles honoreront l’intelligence de la cité autant que le pinceau de l’artiste. Quoi de plus sage, en effet, que l’encouragement du beau ? Sans aucune prétention dogmatique, l’art vraiment digne de ce nom exerce une influence profonde ; les idéales conceptions de la peinture et de la poésie sont aussi une propagande contre les passions mauvaises, propagande secrète dont on se défie moins et par laquelle bien des cœurs sont insensiblement transformés. Ne négligeons rien de ce qui élève les ames ; en face des barbares qui nous menacent, n’abandonnons aucune des ressources de la civilisation ; accomplissons par tous les moyens, par le dessin et par la parole, par la science et par la poésie, cette prédication morale dont notre société bouleversée a besoin, et que l’art, au lieu d’être l’égoïste plaisir des raffinés, émeuve et charme la multitude par la grandeur et la simplicité de ses travaux !


SAINT-RENÉ TAILLANDIER.