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pris l’initiative de tant de mesures libérales, qu’ils se donneraient ainsi des torts gratuits vis-à-vis de l’opinion publique. Il faisait ensuite sentir aux conseillers du pape quel danger il y avait à n’avoir résolu à l’avance aucune question, à ne les avoir pas seulement étudiées. Tout était à refaire : administration, finances, législation, on n’avait songé à rien. Il était surtout frappé des conflits qui pouvaient naître entre ces délégués laïques et les autorités pontificales.


« Ce qui m’effraie toujours et de plus en plus, c’est la question du laïcisme. Elle est au fond de tout ; je l’ai dit et répété au pape et au cardinal. Quelque grande que soit l’autorité morale du pape, les castes cléricales ne peuvent pas tenir tête aux radicaux, si le parti laïque modéré, mais mécontent, je ne dis pas se joint à eux, mais seulement les laisse faire : ce danger est réel. J’entends des paroles aigres, très aigres, sortir de bouches qui ne sont pas, certes, celles de radicaux. À leur point de vue, les laïques redoutent peu même une catastrophe, car ils se rappellent que déjà, en 1831, les puissances conseillaient la sécularisation partielle du gouvernement temporel, à plus forte raison l’exigeront-elles en 1848.

« J’ai insisté vivement pour que, dans le prochain motu proprio qui doit étendre et perfectionner le conseil des ministres, on fasse une part aux laïques. C’est à mes yeux le nœud de la question. En ralliant ainsi les modérés autour du gouvernement, on gagnerait la garde civique, on aurait un moyen d’action agréable et accepté sur la consulte, et l’on isolerait les radicaux[1].


Ces conseils n’étaient pas donnés en pure perte ; ils agissaient lentement, mais enfin ils agissaient sur l’esprit du pape qui avait pris confiance dans les lumières supérieures de notre ambassadeur. Peu de temps après la conversation du 18 décembre, ayant effectivement admis dans son conseil quelques ministres laïques, il s’adressa à M. Rossi, et, plaisantant avec un enjouement plein d’amabilité et de bonne grace sur les expressions un peu françaises que M. Rossi employait quelquefois en parlant italien, il lui dit en souriant : Ebbene, signor ambasciatore, l’avete dunque, vostro elemento laico.

Du côté des impatiens de la consulte, et du public romain en général, la besogne de M. Rossi était plus difficile et son succès moins grand. Ce n’est point qu’il manquât à Rome de modérés, mais les modérés n’avaient point le courage de leur opinion. Ne se sentant pas appuyés par le pouvoir qui ne faisait rien pour eux, ils s’alliaient aux radicaux. Par faiblesse ils abandonnaient la cause des réformes pour la cause de l’indépendance. C’était s’épargner des embarras et se ménager à peu de frais les avantages d’une facile popularité ; mais, pour obtenir un brevet de bon citoyen, cela ne suffisait pas : il fallait traiter

  1. M. Rossi à M. Guizot, 18 décembre.