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calmée. Les habitans de Turin se portèrent au-devant de lui. Charles-Albert, fatigué de la route ou contrarié de la répétition des mêmes scènes, sauta brusquement à cheval, et, par la rapidité de son allure, déconcerta un peu l’attente de la foule, qui ne l’accompagna pas moins jusqu’à son palais. D’où venait cette indifférence au sein d’un pareil triomphe ? Quelle pensée pouvait absorber l’ame de ce souverain traversant, au milieu d’unanimes acclamations, des provinces entières ravies de le contempler ? N’en doutons pas, une seule pensée, la pensée de toute sa vie, pensée ambitieuse que les Piémontais entrevoyaient avec fierté sur son front soucieux. Charles-Albert et l’indépendance italienne ! ce cri, si vain partout ailleurs, poussé non loin des garnisons autrichiennes, sur les rives même du Pô, si près des champs qui virent les désastres de Novare, était sérieux et donnait à réfléchir. Peut-être le prince dont il frappait les oreilles pressentait-il que, pour le soutenir avec honneur, il lui faudrait sacrifier un jour sa couronne et la vie d’un grand nombre de ses sujets.

Au milieu de l’effervescence causée par les scènes que je viens de décrire, lord Minto arriva à Rome. C’était à lui que les révolutionnaires italiens attribuaient le changement survenu dans la politique sarcle. Plus que jamais, il entrait dans leurs vues de représenter l’envoyé anglais comme le promoteur ardent de l’indépendance italienne ; il fallait persuader à la multitude que, si une lutte venait à s’engager contre l’Autriche, on trouverait à Londres l’appui qui manquerait à Paris. Il fut donc résolu qu’on ferait une ovation à lord Minto. Ce n’était pas difficile pour des gens qui avaient du jour au lendemain arrangé tant de magnifiques dimostrazioni in piazza d’en improviser une de plus. Bientôt, en effet, une foule de Romains, débouchant du Corso sur la place d’Espagne, envahit la cour intérieure de l’hôtel Melga, où logeait lord Minto, et fit retentir l’air de mille cris de vive lord Minto ! vive l’indépendance d’Italie ! En réponse à ces cris, des mouchoirs furent agités des fenêtres de l’hôtel. Était-ce lord Minto lui-même, quelques personnes de sa famille ou de sa suite ? La foule ne prit pas souci de s’en informer. Les cris reprirent avec une ardeur plus grande. Tout cela dura un quart d’heure. Quand ceux qui avaient pris part à la démonstration se dispersèrent dans les rues, ils publièrent que lord Minto avait décidément pris l’indépendance de l’Italie sous sa protection. Le soir, dans les cafés et dans tous les groupes rassemblés sur le Corso, il était avéré que lord. Palmerston allait avant peu faire la guerre à l’Autriche pour détruire en Italie les traités de 1845. Les radicaux de Paris écrivaient bien cela dans leurs journaux sans le croire, et pour faire pièce au ministère français ; leurs amis les révolutionnaires de Rome le croyaient comme ils le disaient, et leur audace s’en augmentait d’autant.