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de la guerre ; mais il lui donna pour compagnon de disgrace son rival M. de la Marguerite, ministre des affaires étrangères, chef avoué du parti absolutiste. Cette décision était conforme à la politique ordinaire et au goût personnel du monarque. Il ne lui déplaisait pas de déjouer les calculs des personnes qui se disputaient l’honneur de ses bonnes graces, et de leur faire, selon une expression qui lui était familière, tordre le museau. Le roi manifestait assez clairement, par cet acte de sa volonté, qu’il entendait désormais être le maître et le bien faire paraître. Le choix de deux hommes honorables, mais qui n’avaient pas eu occasion de prendre couleur dans la politique, indiquait également combien il était éloigné de vouloir donner des gages exclusifs à aucun parti. L’opinion publique restait donc un peu désorientée et indécise sur ce qu’elle devait penser de la dernière modification ministérielle. Le 30 octobre, parut, dans la gazette officielle de Turin, un programme détaillé des réformes que le gouvernement se proposait d’introduire dans la législation et dans l’administration du royaume. Ces réformes solennellement annoncées étaient depuis long-temps attendues ; mais ce qui excita la surprise et la joie générales, ce fut l’esprit vraiment libéral qui paraissait avoir présidé à cette concession. Les mesures principales étaient : la publication d’une procédure criminelle, avec publicité des débats ; l’établissement d’un système nouveau d’administration communale et provinciale par des conseillers électifs et les syndics (maires) pris parmi eux ; la convocation, au moins une fois par an, des conseillers extraordinaires ; la création d’un registre d’état civil remis aux mains des autorités civiles, indépendamment de celui qui continuerait à être tenu par les curés ; enfin, un règlement sur la presse, adoucissant les rigueurs de la censure. Il n’y avait pas une seule de ces mesures qui ne répondît, dans une juste proportion, à des besoins depuis long-temps ressentis plutôt qu’exprimés. La reconnaissance des populations fut profonde, vive, universelle ; elle se fit jour de mille manières. La ville fut illuminée. Pendant plusieurs jours, le roi Charles-Albert ne put sortir sans être environné par une foule enthousiaste qui, laissant de côté ses anciennes habitudes de réserve, le poursuivait de ses acclamations. Quand vint le moment du départ de la cour pour Gênes, où elle passe habituellement l’automne, Turin et ses faubourgs furent sur pied pour voir passer le roi et lui faire cortége. Sur toute la route même curiosité, même empressement ; point de cité qui n’eût dressé un arc de triomphe ; les villages éloignés accoururent, musique en tête, jetant des fleurs sur le passage du souverain ou chantant quelque hymne composé en son honneur. À Gênes, ville méridionale, où les têtes sont plus ardentes, le transport fut à son comble : c’étaient des explosions de joie ; des épanchemens d’admiration qu’il faut renoncer à rendre. Au retour du roi dans la capitale de ses états, l’émotion n’était pas encore