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de leurs passions étroites, de leurs colères factices, de leurs préjugés, de leurs injustices, au lieu de rester un art supérieur ayant son but, ses lois, ses conditions propres d’existence ? C’est s’amoindrir dans les mille fluctuations, les mille morcellemens des opinions qui se disputent l’empire ; c’est s’asservir à l’expression de quelques entraînemens accidentels et inférieurs, au lieu de réfléchir ce qu’il y a de plus pur, de plus permanent, de plus élevé dans l’ame humaine ; c’est s’exposer à ne reproduire qu’une image étroite, systématique, tronquée, de notre nature, au lieu d’en révéler tous les côtés, tous les aspects, toutes les tendances par une libre et magique évocation. Que reste-t-il, peu après, de ces Némésis irritées qui secouaient leurs torches, lançaient les foudres et les éclairs ? Un peu de cendre froide qu’on remue indifféremment en s’étonnant qu’il en ait pu un jour jaillir des flammes. Les circonstances sont passées, la flamme s’est évanouie, le trait émoussé est retombé dans le vide ; l’allusion a perdu son à-propos et sa fraîcheur ; l’intérêt actuel de la moquerie ou de la colère s’est effacé. Il faut l’œil d’un érudit pour recomposer toute cette vie tombée en poussière et oubliée : œuvre ingrate où l’esprit se lasse à la poursuite d’un présent qui se dérobe déjà, et contracte une certaine tristesse à mesure que les faits et les régimes qui se succèdent lui offrent le spectacle de leur fatigante mobilité.

Une chose me frappe : voilà un grand poète, le plus grand poète politique peut-être sous une forme légère, — Béranger, qui depuis long-temps s’est tu. Vainement l’auteur du Roi d’Yvetot disait à sa chanson de reprendre sa couronne ; ce n’était qu’un éclair qui ne laissait pas de témoigner quelque amertume, et il semble se répéter à lui-même ces vers d’une mélancolie charmante :

Ma gaîté s’en est allée ;
Sage ou fou, qui la rendra
A ma pauvre ame isolée,
Dieu l’en récompensera !


Cette tristesse, elle n’est pas cependant dans la nature du génie de Béranger. Ce silence, ce n’est pas jusqu’ici l’insuccès qui l’a pu motiver. N’est-ce pas plutôt aux déceptions de la muse politique qu’on peut l’attribuer ? Et pourtant quel stimulant nouveau ne devrait-il pas y avoir pour un esprit d’une telle élévation et d’une telle finesse dans le spectacle de tant de folies qui prétendent à la direction de l’humanité ! Quels fruits n’aurait-on pu attendre d’une verve libre et vive retrouvant son feu et ramenant au sentiment du juste et du vrai les ames incertaines ou égarées ! — Voici, d’un autre côté, un poète qui chante la nature et le ciel, la douleur et la joie, « les ruisseaux, les pauvres, l’amour, » comme il le dit avec une bonhomie un peu ironique : — c’est Jasmin ; sa gaieté