Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/535

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impossible, si l’on ne pouvait compter sur le concours énergique de la petite, mais brave armée piémontaise. Que ferait Charles-Albert ? Pourrait-on, à l’occasion, compter sur lui ? Rien ne trahissait la détermination qu’il entendait prendre. L’envie de la pénétrer était si grande, qu’à défaut de plus sûrs indices on s’était attaché à des circonstances qui n’avaient peut-être pas toute la portée qu’on leur attribuait, mais qui n’en étaient pas moins soigneusement observées et commentées. MM. d’Azeglio et de Balbo étaient tous deux Piémontais. On avait remarqué avec joie que leurs livres étaient, sinon vendus publiquement à Turin, du moins à peu près tolérés par la police ; on se les procurait assez aisément, con cautela. MM. de Balbo et d’Azeglio ne paraissaient pas être vus de trop mauvais œil à la cour ; le fils de M. le comte de Balbo était premier aide-de-camp du roi. On disait avoir vu le livre de M. l’abbé Gioberti aux mains du souverain ; il en avait, disait-on, parlé avec éloge. C’étaient d’heureux symptômes. L’attention publique se portait en même temps sur de plus graves sujets. Quelques difficultés commerciales s’étaient élevées entre les cabinets de Vienne et de Turin à propos des droits sur les vins et des approvisionnemens de sel que le Piémont allait chercher dans le Tésin. Les chancelleries de Vienne et de Turin s’étaient fait une guerre de tarif assez aigre ; les gazettes officielles et censurées de Milan et de Turin avaient échangé l’une contre l’autre des récriminations assez vives. Tous les épisodes de cette controverse, dans laquelle l’administration sarde avait vigoureusement pris la défense du commerce national, avaient été suivis par les populations avec un vif intérêt. Au plus chaud de la querelle, le roi Charles-Albert, chose inusitée à Turin, avait été à plusieurs reprises salué par les acclamations de la multitude ; mais ces manifestations avaient paru ne lui plaire qu’assez médiocrement, et le public s’en était bientôt abstenu. Il était rentré dans ses habitudes de circonspection et de silence, sans avoir oublié toutefois la cause qui l’en avait fait momentanément sortir. La confiance des Piémontais dans leur souverain s’était visiblement augmentée.

À Turin, le mouvement libéral dont Pie IX avait pris l’heureuse initiation n’avait pas eu le même retentissement que dans les autres cours d’Italie. Tant que la cause des réformes fut seule à l’ordre du jour, le public de cette ville, sinon l’élite de la société, demeura assez froid. On savait le gouvernement sérieusement engagé dans une lente refonte des parties défectueuses de l’administration ; il ne se fit point d’effort pour hâter un travail qui demandait beaucoup d’études et dont on avait d’ailleurs déjà recueilli de premiers fruits ; mais, sitôt qu’il fut question de nationalité, d’indépendance, de fédération italienne, d’un grand royaume à foncier dans le nord de l’Italie, ce fut autre chose. Il n’y avait pas un seul de ces mots qui ne trouvât son écho dans le cœur du