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la témérité, ou de la folie, mais c’est toujours un acte redoutable pour quiconque a souci de la justice, du bien de la patrie, du sort des autres hommes, de sa propre renommée et de celle de son pays. Tenter une révolution, c’est se constituer souverain arbitre de la volonté, de la propriété, de la vie d’un nombre indéfini de ses semblables. Le plus souvent ceux qui décident d’employer à l’exécution de leurs propres fins les biens les plus précieux, les droits les plus sacrés de leurs concitoyens, le font sans leur consentement, sans droit aucun, sans avoir été autorisés ni choisis. Qu’ils soient plusieurs au lieu d’un, cela ne change rien à la question, la responsabilité devient commune au lieu de rester individuelle. Maintenant, celui ou ceux qui disposent de la propriété d’autrui sans l’aveu des vrais et légaux possesseurs sont bénis s’ils l’améliorent ; s’ils la détériorent, ils seront maudits et avec raison ; car l’incapacité sert d’excuse à ceux que d’autres ont choisis, mais nullement à qui s’est choisi lui-même… Dans les affaires d’état, il faut éviter les brusques transitions. Il est facile de proclamer des monarchies, des républiques, des constitutions ; mais il n’est donné à personne de rendre des populations monarchiques, constitutionnelles ou républicaines, si elles ne le sont ni par leurs mœurs ni par leurs opinions. Toutes les férocités de la terreur n’ont point fait des républicains des Français qui ne l’étaient point. Les imitations des constitutions étrangères importées en Italie en 1821 n’ont pas rendu constitutionnels les Italiens, qui eux non plus ne l’étaient pas alors… L’art de mûrir ses desseins et d’en préparer la réussite, l’art de construire l’édifice pierre par pierre, en commençant par où il faut commencer, c’est-à-dire par la fondation, est un art que nous ignorons nous autres Italiens, et sans lui cependant on ne fait rien, nous l’avons appris à nos dépens. Nous avons jusqu’à présent ressemblé à ce maître inexpérimenté de fiers et impétueux coursiers qui, sans prendre le temps de les atteler, sans se soucier d’ajuster ni les traits ni les rênes, fouette comme un fou, et, à peine lancé, se précipite et se rompt le cou… Protester contre l’injustice, contre toutes les injustices ouvertement, publiquement, de toutes les manières, et dans toutes les occasions possibles, est, à mon avis, le procédé le plus nécessaire à l’époque où nous nous trouvons, et, quant à présent, le mode d’action le plus utile et le plus puissant. Point de protestation à main armée, comme à Rimini. Pour protester ainsi, il faudrait en Italie une bonne position militaire, deux cent mille hommes et deux cents canons en ligne de bataille. À réunir quelques rares baïonnettes, on s’attire la risée de l’Europe. Des armées faibles et peu nombreuses ne suffisent pas à donner l’autorité de la force ; elles ôtent, ou du moins elles diminuent celle de la raison. La plus grande force d’une protestation, c’est d’être rigoureusement juste et de s’interdire rigoureusement la violence. Quand, chez une nation,