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LES ÉTATS D’ORLÉANS.
LE CONNÉTABLE.

Je le crois comme vous, mais il faut prendre son temps.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Le plus tôt sera le mieux ! Je mettrai bas ces maudits étrangers ou j’y laisserai ma vie ! et si je meurs, connétable, comptez sur mes amis pour me venger et vous servir.

LE CONNÉTABLE.

Vos amis ! cher neveu, vous n’oubliez qu’une chose : sont-ils du bois dont je fais les miens ? Appelez-moi, si vous voulez, diseur de patenôtres, riez de mes vieilles idées, mais j’aimerais mieux toute ma vie garder au fourreau ma vieille épée que de prendre à mon service vos faiseurs de religions.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Ne peut-on suivre chacun sa foi et marcher de concert contre l’ennemi commun ?

LE CONNÉTABLE.

Oh ! que nenni ! je suis trop vieux routier ! On ne vit pas avec les charbonniers sans qu’il en reste aux doigts quelque chose… Ne vous fâchez pas, Condé ; écoutez-moi : nous ne sommes pas ici pour nous complimenter ; je vous ai déjà écrit brutalement votre fait, je vous le dirai de même. Vous avez été un peu bien prompt de rompre ainsi tout haut avec la messe ?

LE PRINCE DE CONDÉ.

J’avais rompu tout bas. Ce que je fais, je le dis.

LE CONNÉTABLE.

Pas toujours, s’il vous plaît, monsieur mon neveu. Je sais plus d’un mari par le monde à qui vous ne dites pas tout ce que vous faites. La franchise est une belle chose ; mais, quand on a l’honneur d’être fils de France, on doit y regarder à deux fois avant de faire divorce avec notre sainte mère l’église. — Allons, je ne suis pas venu pour vous sermonner. Laissons là votre profession et la belle colère où vous m’avez mis. C’est ma chère nièce, votre femme, qui vous a fait faire le saut : je comprends, vous avez racheté par là bien des péchés envers elle… Allons, allons… voudriez-vous m’en faire accroire ? Moi, grâce à Dieu, j’ai les cheveux trop blancs pour donner des soucis à ma femme ; aussi, fût-elle huguenote encore plus obstinée que votre Éléonore, jamais elle ne me ferait changer. Mes neveux de Châtillon en savent quelque chose : ils y ont perdu leur latin. Mais, corbleu ! je n’en suis que plus résolu de ne donner ni paix ni trêve à cette insatiable famille qui s’en va ruinant notre France. Ils voudraient bien nous traquer tous dans leur baraque d’Orléans ; mais vous n’êtes pas en humeur, je suppose,