Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
387
LES ÉTATS D’ORLÉANS.
LE PRINCE DE CONDÉ.

Pensez-vous donc qu’il vienne ?

LE ROI DE NAVARRE.

Il n’est pas homme à manquer au rendez-vous… Ce n’est pas qu’aujourd’hui tout le monde se fait attendre. (Tournant la tête du côté de la galerie.) Comprenez-vous ce Bouchard qui ne revient pas ?… Le cardinal serait-il déjà parti ?

LE PRINCE DE CONDÉ.

Vous voilà bien en peine. Que n’allez-vous y voir vous-même ?

LE ROI DE NAVARRE.

Parbleu ! vous avez raison. (Il sort.)


Scène VI.

LE PRINCE DE CONDÉ, seul. (Il suit des yeux le roi de Navarre.)

Je voudrais bien qu’on m’expliquât ce qui se passe chez cet excellent frère ! D’où lui vient aujourd’hui cet amour du danger ? Lui si sage, lui qui jamais ne s’embarque que par le ciel le mieux étoile, se lancer tête baissée dans un tel traquenard ! Il a donc bien peur de rompre avec le roi ? Je parie qu’il s’en va donner parole au cardinal… — Après tout, si j’étais à sa place, je n’hésiterais pas ; dès ce soir je serais à Orléans. Dieu sait ce qu’il m’en coûte de reculer devant ces deux cadets de Lorraine ! J’aurais tant de plaisir à les mesurer de l’œil !… Pour en avoir raison, il ne faut qu’un peu de cœur. — Mais paraître devant cette dédaigneuse qui me rendrait tout au plus mon salut ! Risquer ma tête pour qu’elle en soit moins émue que si son singe était malade ! Non, mille fois non ; je n’ai pas ce courage-là. Des dangers tant qu’on voudra, mais des dédains, des mépris de femme, je ne suis pas de taille à les braver. — Seigneur Dieu ! à quelle folie me voilà-t-il donc réduit ? quel rêve extravagant ai-je poursuivi depuis six mois ? Parce qu’un jour il m’a semblé… Non, je me fais pitié !… et j’ai quitté Nérac joyeux comme un enfant à la pensée que je me rapprochais d’elle ! Et pendant ce long voyage le cœur me battait à fendre mon pourpoint chaque fois qu’un message arrivait de la cour !… Mais elle songeait bien à moi ! Pas un mot, pas un signe, pas le moindre souvenir !… Tout à l’heure encore j’espérais que ce cardinal… Il venait de la voir, de lui parler… Mais non, j’ai eu beau l’interroger, rien, toujours rien. — Suis-je assez bafoué !… Je ne l’ai pas rêvé, pourtant, c’était bien elle, à Amboise, qui, pour mieux me convertir, me provoquait sans cesse à m’asseoir à ses côtés ; c’était bien elle qui, chaque soir, m’enivrait, comme à plaisir, de ses chansons, de ses douces poésies ; et quand, par hasard, en accordant son luth, ma main rencontrait la sienne, je ne vois pas qu’elle en fût