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grecque, si le christianisme n’était pas venu le renouveler et lui rendre la ferveur et la fermeté religieuses qui l’avaient soutenu autrefois. Philon et Josèphe ont beau vanter les institutions de Moïse et les défendre contre l’orgueil des Grecs, ils les altèrent en les comparant avec les institutions grecques. Ils n’y trouvent pas seulement des différences dont ils s’enorgueillissent, ils y trouvent aussi des ressemblances et des supériorités dont ils tirent vanité. Ils finissent par être des philosophes déistes au lieu d’être des docteurs de la synagogue ; l’unité de la divinité, que la philosophie grecque et romaine avait su retrouver dans la confusion du vieil Olympe païen, est la seule idée que Philon et Josèphe semblent garder de la religion de Moïse et qu’ils n’ont pas de peine à faire accepter par la société grecque et romaine ; mais, comme cette idée est devenue une idée commune au monde ancien, par cela même elle n’est plus juive. Le judaïsme avait besoin, pour vivre, que le polythéisme continuât à lui faire contraste. Quand le polythéisme tournait au déisme, le judaïsme avait une raison d’être de moins. Le christianisme vint relever par sa foi nouvelle la barrière qui s’abaissait entre le judaïsme et le polythéisme. Cette foi nouvelle, par ses dogmes merveilleux, rétablissait entre le monde païen et le peuple élu la différence que le judaïsme avait établie par ses rites singuliers. La civilisation grecque trouva là un nouvel obstacle qu’elle ne put ni renverser ni tourner. Aussi recula-t-elle devant cet adversaire qui venait remplacer le vieil adversaire, au moment où celui-ci commençait à languir dans la lutte ; et une fois qu’elle eut cessé de vaincre, la civilisation grecque elle-même commença à être vaincue : sa soumission date de la fin de ses conquêtes.

Ne croyons pas cependant que la victoire de la civilisation chrétienne ait été facile, prompte et complète. Comme le christianisme empruntait au monde ancien sa langue et ses arts ; comme, de plus, il appelait dans son sein, pour les convertir, les gentils, c’est-à-dire les fils du monde ancien, le monde ancien faisait effort pour donner au monde nouveau non-seulement la forme, mais aussi le fond, non-seulement la phrase, mais la pensée et les mœurs. Au XVe siècle, en Italie, au moment de la renaissance, cet effort sembla un instant victorieux. La renaissance des lettres grecques et latines devint presque une résurrection du paganisme.

Je voudrais rechercher comment la poésie chrétienne a pu résister au voisinage et au commerce des lettres et des arts du monde antique. Je ne prendrai pas pour objet de cette recherche la poésie dramatique, ou même la poésie élégiaque ; ces deux sortes de poésies empruntent trop au monde et à la vie civile pour que la pensée chrétienne puisse s’y développer librement. Je prendrai la poésie épique, parce que ce genre de poésie a besoin de merveilleux, et que le merveilleux vient