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ils établirent à Jérusalem un gymnase où les jeunes gens s’exerçaient aux jeux et aux sciences de la Grèce. Bientôt le roi Antiochus, préoccupé de l’idée d’établir dans son empire l’unité de lois et d’administration (la manie de la régularité administrative est un genre d’intolérance propre à la civilisation), ordonna que chaque peuple abandonnât sa loi particulière, et, pour mieux soumettre les Juifs à cet ordre, il vint lui-même à Jérusalem, entra dans le temple, pénétra dans le lieu saint[1], brisa les ornemens sacrés, et détruisit enfin tous les symboles du culte et de la nation judaïques. Alors beaucoup de Juifs sacrifièrent aux idoles et violèrent le sabbat ; la statue de Jupiter olympien fut placée dans le temple sur l’autel du Très-Haut, et le temple des dix tribus séparées de Juda, qui était bâti sur le mont Garezim, fut appelé du nom de Jupiter hospitalier. Les mœurs de la Grèce triomphaient à Jérusalem jusque dans leurs ordures ; car l’amour grec avait déjà ses partisans parmi les Juifs[2] ; les lévites eux-mêmes, méprisant le temple et négligeant les sacrifices, couraient aux jeux de la lutte, aux spectacles et aux exercices du disque, comme s’il n’y avait eu de beau que les arts de la Grèce et que la gloire fût d’y exceller[3]. Personne, enfin, n’osait plus avouer simplement qu’il était juif[4].

C’est à ce moment que quelques hommes, qui avaient gardé l’amour

  1. Voici à ce sujet un conte singulier rapporté par Apion : « Quand le roi Antiochus pénétra dans le temple des Juifs, il trouva, derrière le voile qui cachait le sanctuaire, un homme dans un lit, avec une table auprès de lui couverte de viandes exquises tant en chair qu’en poisson. Cet homme, voyant le roi, se jeta à ses genoux, et le conjura de le délivrer. Antiochus le releva et lui demanda qui il était, qui l’avait amené dans ce temple, et pourquoi on l’y traitait avec tant de somptuosité et de délicatesse. Alors cet homme, fondant en pleurs, lui répondit qu’il était Grec, et que, passant par la Judée, il avait été pris, amené et enfermé dans le temple, et traité de la sorte sans être vu de qui que ce soit. Au commencement, il avait eu de la joie de se voir si bien traité ; mais bientôt il avait eu des soupçons, et, ayant interrogé ceux qui le servaient, il avait appris qu’on se nourrissait ainsi pour observer une loi inviolable parmi les Juifs ; que cette loi était de prendre tous les ans un Grec, et, après l’avoir engraissé durant un an, de le mener dans une forêt, le tuer, offrir son corps en sacrifice avec certaines cérémonies, manger de sa chair, jeter le reste dans une fosse, et jurer une haine immortelle aux Grecs. Quant à lui, il y avait déjà près d’un an qu’il était dans le temple ; il n’avait plus que quelques jours à vivre, et il conjurait le roi, par son respect pour les dieux de la Grèce, de le délivrer du péril où le mettait la cruauté des Juifs. » Ce récit rappelle les traditions répandues dans le moyen-âge sur la cruauté des Juifs. Au moyen-âge, on croyait aussi que les Juifs enlevaient tous les ans un enfant chrétien, qu’ils crucifiaient et dont ils mangeaient la chair. C’était une superstition partout répandue. De nos jours même, cette superstition existe encore en Orient, témoin, il y a quelques années, le procès des Juifs de Damas, accusés tout récemment d’avoir tué un religieux et d’avoir bu son sang. Ils ont été suppliciés, et ce n’est qu’après leur mort que la justice turque les a reconnus innocens.
  2. Machab., liv. II, chap. IV, v. 12.
  3. Ibid., v. 14 et 15.
  4. Ibid., chap. VI, v. 6.