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des mains mêmes de Dieu, et c’est là ce qui fait sa force[1]. » Les Juifs cèdent volontiers aux Grecs la gloire littéraire ; mais ils se réservent la vérité, comme les Romains se réservaient la victoire.

Ce qui fait que la civilisation judaïque est la seule en Orient qui ait résisté à la civilisation grecque, c’est que la civilisation judaïque était une religion. C’est là ce qui a soutenu les Juifs dans leurs luttes contre les rois de Syrie. Ils ont continué d’être un peuple, parce qu’ils avaient un Dieu, un temple et un livre sacré. C’est une chose d’autant plus remarquable, qu’après Alexandre, en Orient, il n’y a plus de peuple ; les royaumes de Syrie et d’Égypte ne sont pas des nations, ce sont des réunions d’hommes d’un même climat sous une même loi. Les Juifs seuls sont un peuple, parce qu’ils ont un culte distinct, un gouvernement à part, une poésie née de leur religion et de leur gouvernement, qui ne ressemble pas plus à la poésie grecque que le culte et le gouvernement juifs ne ressemblent aux cultes et aux gouvernemens de la Grèce.

Ce fut surtout la politique qui poussa les rois de Syrie à persécuter la religion des Juifs. Jéhovah n’était pas seulement le dieu des Juifs, il était leur roi, et il empêchait l’unité de l’empire syrien. De là la haine que les rois de Syrie conçurent contre le culte des Juifs ; ils entreprirent de le détruire, non pour gagner à Jupiter des adorateurs, mais pour avoir eux-mêmes des sujets plus soumis.

Ils furent aidés dans leur projet par un parti qui se forma chez les Juifs. Ce parti, qui fut le parti helléniste ou grec, préférait aux institutions et aux mœurs sévères de sa patrie les institutions et les mœurs faciles de la Grèce. Peut-être aussi trouvait-il la Grèce plus savante et plus ingénieuse que la Judée, et cédait-il à la séduction des lettres et des arts que le culte juif semblait proscrire ou consacrer si exclusivement à Dieu, que les jouissances en étaient interdites aux hommes. « En ce temps-là (sous Antiochus Épiphanes, 176 avant Jésus-Christ), dit le livre des Machabées[2], il y eut dans Israël des enfans d’iniquité qui dirent : Allons et faisons alliance avec les nations qui nous environnent, parce que, depuis que nous nous sommes retirés d’avec elles, nous sommes tombés dans beaucoup de maux. » Ainsi, le parti helléniste préférait l’humanité à la patrie, et il abjurait cette haine farouche de l’étranger qui faisait la vertu des Juifs. Selon la sagesse humaine, le parti helléniste avait raison ; car supprimez le mystérieux dessein de Dieu sur le peuple qui doit enfanter le Sauveur, la séparation des Juifs d’avec tous les peuples de la terre est une faute et un malheur. Les hellénistes se mirent donc à vivre selon les coutumes des gentils[3] ;

  1. Josèphe contre Apion, liv. Ier, chap. Ier.
  2. Liv. Ier, chap. Ier, v. 12.
  3. Machab., liv. Ier, chap. Ier, v. 14.