Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/421

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dès-lors, sans imprudence, porter atteinte à la constitution actuelle des services et aux bases financières posées dans le budget. C’est là tout ce que nous dirons de ce budget, qui consacre lui-même les réductions les plus regrettables. Dans notre conviction, les seules économies qui pussent être réalisées en 1849, sans que l’avenir de la marine fût engagé, seraient obtenues au moyen de réductions dans les armemens. Eh bien ! ces réductions mêmes ne sont plus possibles aujourd’hui. Les services sont montés, les bâtimens entretenus à la mer sont pour la plupart hors de portée, et, s’il fallait leur envoyer des ordres de retour, la dépense, loin de diminuer, s’augmenterait des frais d’estafettes à la mer, c’est-à-dire de nouveaux armemens. Toucher au matériel serait une faute ; atteindre le personnel serait une faute encore. Pour une économie relativement minime, l’assemblée nationale ne voudra pas jeter le découragement dans ces corps d’officiers qui ont rendu tant de services nonobstant les vices d’une organisation incomplète, et qui seraient si heureux de concourir à une œuvre systématique, quelque modeste que le pays voulût la faire, pourvu qu’il voulût la poursuivre.

C’est à tous les partis politiques et aux hommes éminens qui les dirigent que s’adresse notre appel. M. de Lamartine, qui défendait si fièrement la marine en 1846 et qui, le bras étendu vers la tribune diplomatique, s’écriait : « Votons, l’Angleterre nous regarde ! » M. Thiers, qui a montré dans cette grande discussion tant de savoir, tant de patriotisme, tant d’admiration pour les gloires de la marine et tant de sympathie pour les hommes qui la servent ; M. de Montalembert, qui a su rendre si éloquente l’indignation que lui inspirait le délaissement de la marine marchande ; le savant M. Charles Dupin, M. Berryer, M. Beugnot, tous ces orateurs dont la parole retentit encore dans notre cœur, se lèveront, nous n’en doutons pas, pour défendre, dans cette crise nouvelle, la cause que naguère ils ont fait triompher. Cette cause, c’est celle de tous ceux qui veulent la patrie indépendante et forte. Quelles que soient vos vues politiques, quels que soient vos rêves, il n’est aucun de vous qui ne compte sur la flotte pour les réaliser. Vous qui voudriez porter les armes françaises au nord de l’Italie, et vous aussi qui voulez rétablir le pape dans la chaire de saint Pierre, vous enfin qui avez émancipé les colonies et qui les voulez françaises, vous avez compté sur la flotte : veillez sur son avenir ! Il faut bien des jours et bien des années pour faire une marine. Voyez le Danemark : il endormait ses vaisseaux dans la sécurité de la paix ; il les a réveillés pour la guerre ; un terrible revers a puni son imprudence. Ce n’est pas toujours le patriotisme qui manque aux nations qui s’éteignent ; c’est la prévoyance, c’est souvent le sentiment du vrai. Voyez l’Espagne : il y a là un noble peuple, plein d’amour pour sa terre aride, plein de fierté dans sa misère ; il n’a plus que la vie du souvenir, la puissance du rêve. À Séville, il regarde la tour de l’Or, où venait