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Est-ce à dire que, dans notre pensée, l’état doive enlever à cette industrie si profondément ébranlée l’appui de ses vaisseaux ? Nous méconnaîtrions, s’il en était ainsi, les mœurs de notre commerce et les besoins qu’il s’est créés. Tenu en lisière par l’insuffisance du capital dont il dispose, timide dans ses opérations dont il veut assurer la réussite à bref délai, redoutant, de la part des populations avec lesquelles il traite des supercheries dont il a trop souvent, il faut le dire, donné le déplorable exemple, notre commerce s’est habitué à compter sur l’influence de la force militaire. Il semble qu’il ne puisse trafiquer que sous le canon français. C’est là un véritable malheur ; c’est une voie funeste aussi bien pour le commerce, qui y perd son ressort, que pour la marine militaire, qui peut y compromettre sa dignité. Dans notre conviction, il faut en sortir, non pas brusquement, mais progressivement et en ménageant cette inquiète timidité de nos armateurs qui contraste si fort avec la confiance américaine. La substitution au mode actuel de stations navales d’un système de croisières mobiles et très actives satisferait aux besoins réels de la protection du commerce ; un moindre nombre de bâtimens y concourraient ; mais le nombre pourrait être compensé par la valeur militaire des navires employés. L’effet moral, loin d’être affaibli, n’en serait que plus efficace, et en même temps qu’il y aurait économie d’argent réalisée, il en résulterait, pour notre politique extérieure, plus de liberté d’action et la disposition de ressources plus étendues.


La flotte instrument politique

Ici nous touchons au vif de la question maritime. Si la France était, comme la Russie, reléguée à l’extrémité du continent européen, inaccessible aux impressions du dehors et maîtresse de mesurer ses relations avec les autres puissances ; si elle était, comme l’Union américaine, placée en dehors de la sphère d’activité où se meuvent ces puissances, assise sur un monde nouveau, n’ayant autour d’elle que des peuples débiles et des empires naissans ou en décadence, on pourrait se demander : Une marine militaire est-elle une condition essentielle de l’existence politique d’un tel état ? — Et encore faudrait-il reconnaître que la Russie n’a pris rang en Europe que du jour où Pierre-le-Grand l’a violemment dotée d’une flotte ; que les États-Unis, dès qu’ils se sont laissé attirer par les nécessités de développement de leur commerce dans la sphère d’activité européenne, ont dû se résoudre à construire des vaisseaux de guerre nous l’avons constaté au début.

Mais c’est au centre même de cette sphère que notre France est fixée. Comme le cœur dans le corps humain ressent nécessairement les moindres impressions communiquées à tous les membres, elle n’est indifférente à aucun des mouvemens qui s’accomplissent autour d’elle. Il a été dans sa destinée d’ébranler Rome au berceau, d’édifier sur les ruines de