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l’héroïsme absout l’origine ; tandis qu’il y a quelques années Alger, ce nid séculaire de la piraterie, inquiétait encore les navires des plus grandes nations, aujourd’hui les faits d’agression à la mer pendant la paix sont extrêmement rares. La navigation commerciale a pris un plus complet essor. C’est maintenant par l’habileté, par l’ingénieuse et infatigable recherche des moyens d’abaisser le prix du transport, et, par suite, celui de la vente, que luttent les navigateurs. L’emploi de la force armée est réservé aux nations qui sont elles-mêmes plus centralisées, plus maîtresses des élémens, autrefois disséminés, de leur puissance.

La création et l’emploi permanent des flottes de guerre ont fait faire à la civilisation ce progrès décisif. Jefferson, qui avait si vivement redouté pour les États-Unis d’Amérique la nécessité d’entretenir une force navale, fut conduit, vers la fin de sa vie, à en reconnaître le bienfait. Mais aujourd’hui que ce bienfait est acquis au monde, n’est-on pas en droit de penser que les armemens ayant pour objet la protection du commerce maritime peuvent être ramenés, en temps de paix, à des proportions moins étendues et, par conséquent, moins onéreuses ? Nous aurons à revenir sur cette question (qui est capitale au point de vue de l’économie), lorsque nous examinerons ce que doit être la force navale de la France ; mais nous constatons ici que les armemens militaires, une fois la paix et la sécurité de la mer garanties, ne peuvent presque rien au-delà pour la navigation commerciale. L’Union américaine le sait bien ; aussi ses armemens n’ont-ils jamais dépassé le nombre de 35 bâtimens, atteint pour la première fois en 1843. En 1831, elle n’avait que 16 bâtimens armés[1]. Et cependant est-il besoin de dire que le pavillon de commerce américain sillonne toutes les mers ? Les courtiers, les messagers du monde, comme on a si justement appelé ces infatigables navigateurs qui déjà disputent à l’Angleterre la prééminence commerciale dont elle est si jalouse, n’ont-ils pas obtenu ce résultat, récemment constaté[2], que, dans la navigation de concurrence, le mouvement de leur tonnage dans les ports de la Grande-Bretagne a dépassé celui des navires anglais ? Et tandis qu’avec une si faible protection le mouvement de cette navigation va toujours grandissant, que voyons-nous en France ? L’activité des échanges maritimes s’accroît, et en même temps l’activité de notre pavillon marchand diminue. Il faut lire les écrits si lumineux d’un officier de marine[3], témoin de la décadence progressive de la navigation du port de Bordeaux, pour se faire une juste idée de l’état de cette industrie, objet de la sollicitude

  1. Voyez, aux annexes (état B), le tableau des armemens des États-Unis d’Amérique.
  2. Discussion, dans le parlement anglais, pour la modification de l’acte de navigation.
  3. M. de Fontmartin de L’Espinasse, lieutenant de vaisseau, directeur du port à Bordeaux. Appel au gouvernement et aux chambres sur la situation de la marine marchande, 1847.