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La France vivait alors sous Henri IV, et l’un des ministres les plus sages et les plus appliqués au bien qu’ait eus notre pays donnait à l’agriculture et aux industries agricoles tout l’appui de son patriotisme et tout l’effort de son génie : il ne voyait pas la mer.

Sully était destiné à éprouver dans sa personne combien grave était cet oubli. Envoyé comme ambassadeur auprès de la reine Élisabeth, il passe le détroit sur un bâtiment de guerre anglais offert et accepté par une double courtoisie. Cependant un navire du roi de France l’accompagne et, au moment où l’ambassadeur va poser le pied sur le sol de l’Angleterre, le capitaine français arbore le pavillon national et l’assure d’un coup de canon. L’Anglais voit dans cet honneur rendu au roi de France une atteinte à la suprématie maritime de la Grande-Bretagne, et le premier ministre de Henri IV doit ordonner qu’on amène le pavillon de son souverain pour éviter qu’il soit abattu par un bras anglais.

Cette leçon était trop dure pour être perdue : Richelieu devait la mettre à profit. Ce n’est pas que l’opinion se fût, dès ce moment, portée d’enthousiasme pour la marine ; Richelieu lui-même avait vu les pirates rochelois s’attaquer aux revenus du roi en même temps qu’ils ruinaient le commerce du royaume sur l’Océan. Il avait été contraint, pour châtier ces rebelles, de recourir aux Anglais et aux Hollandais, et sa résolution d’affranchir désormais la France d’un tribut honteux se manifestait déjà par une impulsion plus vive donnée à la marine. Mais les projets du ministre trouvaient très peu d’appui dans l’esprit du temps, à en juger par le début du mémoire de Razilly

« Plusieurs personnes de qualité, même du conseil, m’ont dit et soutenu que la navigation n’étoit point nécessaire en France, d’autant que les habitans d’ycelle avoient toutes choses pour vivre et s’habiller sans rien emprunter des voisins ; partant, que c’étoit pure erreur de s’arrêter à faire naviguer, et que l’exemple est que l’on a toujours méprisé au passé les affaires de la mer comme étant du tout inutiles. »

Richelieu s’affranchit de ces fausses maximes, qui n’étaient qu’un aveu d’impuissance. Cette politique porta ses fruits. La première flotte digne de la France lui donnait en 1642, sous la conduite d’Escoubleau de Sourdis, une province nouvelle, le Roussillon. Mais il ne suffit pas de fonder en marine, il faut entretenir. Dix ans après, faute d’une flotte pour défendre notre seul port sur la mer du Nord, Dunkerque est enlevé au pays.

Bientôt viendra Colbert. Louis XIV, qui n’avait en 1661 que 18 bâtimens de guerre de 30 à 70 canons, 4, flûtes et 8 brûlots, aura, avant la mort de ce grand ministre, plus de 120 vaisseaux de ligne au service de son ambition immodérée peut-être, mais à coup sûr nationale. À ces grandes escadres conduites par Duquesne, Tourville, Jean Bart et tant