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offrir eux-mêmes les conditions déjà proposées en les prenant sous leur propre nom.

Cette nouvelle démarche a-t-elle quelque chance de succès ? Le peuple sicilien est changeant sans doute, et une satisfaction aussi éclatante donnée à sa vanité pourrait peut-être l’ébranler ; mais, d’un autre côté, le char est lancé sur une pente bien rapide. Comment s’arrêtera-t-il ?

25 mars.

Les nouvelles propositions ont été envoyées dans la matinée au gouvernement ; le ministère les a portées aussitôt au parlement. Dès qu’on a commencé à les lire, quelques voix ont crié : Guerra ! Personne n’a voulu être en reste, et on n’a pas laissé achever la lecture. On les a déclarées inadmissibles par acclamation, sans qu’il y ait eu d’opposant et sans qu’une voix raisonnable ait dit : Voyons au moins ce qu’on nous veut ?

Le char a donc versé. Ce résultat est bien affligeant, mais n’a rien qui doive surprendre. L’Italie, d’un bout à l’autre, est en proie à un vertige qui lui voile complètement la vérité. Toutes ses imaginations, tous ses rêves lui paraissent réalisables ; elle ne tient compte ni des faits, ni de la possibilité ; elle croit que, parce qu’elle a raison au fond dans ses prétentions à l’indépendance et à la liberté, cela suffit pour les obtenir l’une et l’autre ; elle oublie qu’en politique l’indépendance n’est un droit que quand on a la force de la conquérir et de la maintenir, et qu’on ne mérite la liberté que quand on sait en faire un usage raisonnable pour soi-même et pour les autres. Or, est-ce que l’Italie a su jusqu’ici combattre sérieusement pour son indépendance et user raisonnablement de sa liberté ? Depuis un an, par ses divisions et ses exagérations, a-t-elle fait autre chose que de perdre une des plus belles parties qu’il ait été donné à un peuple de jouer ? La Sicile n’encourt pas tous ces reproches. Sa cause est meilleure. Si elle n’a pas su combattre à Messine ni organiser sa défense, elle s’est efforcée de mettre de l’ordre à Palerme, et sa révolution a été exempte d’excès populaires ; mais aujourd’hui elle se perd par la même exagération de prétentions, la même vanité de paroles, le même défaut de vues raisonnables et pratiques.

L’intervention se retire avec le regret de n’avoir pu achever son œuvre. Elle sera poursuivie, comme elle pouvait s’y attendre, par les reproches des deux parties. Elle n’en a pas moins accompli un devoir, car c’était le devoir de la France et de l’Angleterre de chercher à faire prévaloir la voix de l’humanité et de la raison dans une querelle qui prenait un caractère si odieux. Il faut espérer d’ailleurs que le répit donné pendant six mois aux passions les aura apaisées, et que la désapprobation éclatante des tristes excès de Messine, dont cette intervention a été l’expression, ne permettra pas qu’ils se renouvellent. N’aurait-on obtenu que ce résultat, ce serait beaucoup, et tant de soins ne seraient pas perdus.


V. de Mars.