Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/369

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est ancienne, et qui, par l’effet du temps, sont devenues pour la Sicile de véritables droits. Quant à l’indépendance, je ne l’aperçois nulle part dans l’histoire de la Sicile, que je vois toujours l’apanage de quelque couronne, Aragon, Espagne, Empire, Sardaigne ou Naples ; — pour trouver autre chose, il faut aller chercher des temps où l’Europe avait une organisation politique aujourd’hui oubliée et dont on ne peut tenir compte.

Comme on le voit, ce n’est pas la raison, ou au moins notre raison, qui guide les Siciliens dans leur conduite. Ce sont plutôt des sentimens, des passions. Quand on veut connaître l’opinion à ce point de vue, il ne faut pas négliger d’interroger les femmes. Elles sentent avec tant de vivacité de cœur, parlent avec une telle liberté de langage, reflètent si naïvement les impressions qu’elles reçoivent, que leur conversation représente fidèlement ce que j’appellerai la passion publique. Toutes les Siciliennes que j’ai entendues parler sur la situation politique (et, pour le moment, il n’y a pas à Palerme d’autre sujet de conversation) trouvent que l’on fait très bien de repousser les conditions qui sont apportées par les amiraux. La seule raison qu’elles en donnent, sans entrer en rien dans l’examen de ces conditions, c’est qu’on ne peut avoir nulle confiance à quoi que ce soit qui vienne de Ferdinand. Il a toujours manqué à ses engagemens, il y manquera encore. Tout raisonnement qu’on voudrait établir sur la valeur morale de l’intervention des deux puissances vient se briser contre cette défiance, qui, il faut le reconnaître, est devenue universelle. La vivacité et l’accent de conviction avec lesquels les femmes expriment cette défiance révèlent l’influence d’un sentiment populaire et passionné que l’on ne peut songer à détruire avec des mots. Quant à l’efficacité de la garantie des puissances médiatrices, il faut bien convenir qu’on n’en peut répondre, et que l’action de ces puissances aurait bien de la peine à s’exercer contre Naples, si le roi manquait à ses engagemens, ou, ce qui est plus probable, s’il les éludait. Le sentiment de doute et de suspicion qui se manifeste à cet égard n’a point de peine à se défendre contre les raisonnemens un peu spécieux avec lesquels on cherche à le combattre. On reconnaît aussi, dans les discours des femmes siciliennes, qu’une des causes principales de la résistance, c’est que les conditions offertes aient été réglées sans consulter la Sicile. La vanité sicilienne, qui est extrême, et par raison de sang, et par raison de faiblesse, a été profondément blessée. Ce peuple a ressenti une humiliation dans la tutelle des deux puissances.

Tels sont donc, vus au miroir des esprits féminins, les deux sentimens populaires qui ont amené l’insuccès de l’intervention : vanité blessée par la tutelle de la médiation, et défiance haineuse du roi Ferdinand. Faites agir sur ces bases les intérêts particuliers qui vivent de la révolution, l’ambition des exaltés et la timidité des modérés ; tenez compte du caractère sicilien, vaniteux et puéril, ayant plus d’imagination que de raison, plus de jactance que de courage, sans être pourtant complètement dépourvu d’aucune des qualités qui sont les contraires de ces défauts, et vous aurez à peu près la clé de la situation.


24 mars.

Le vapeur anglais le Bull-Dog a mouillé sur rade hier ; il amène de Naples les deux ministres de France et d’Angleterre. La médiation ne veut pas qu’il soit dit qu’aucun moyen de conciliation ait été négligé, et les négociateurs viennent