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telle sorte qu’un quart à peine des électeurs a voté. Cet acte du roi Ferdinand donnerait une nouvelle ardeur à la résistance des Siciliens, s’il pouvait encore être besoin d’exciter la passion populaire. « Quelle confiance, disent les Siciliens, pouvons-nous avoir aux promesses du roi Ferdinand, quand nous le voyons abolir de fait la constitution dans son royaume de Naples ? » À cela il est difficile de répondre d’une manière bien satisfaisante, et l’argument puisé dans la garantie des puissances médiatrices ne suffit pas à convaincre.

L’Ariel est arrivé ce matin de sa tournée sur les côtes de Sicile. Il était allé remettre à tous les agens consulaires de France et d’Angleterre les documens relatifs à l’arrangement. Parti de Palerme à l’improviste, il a été reçu assez paisiblement dans les premières localités où il a paru. À partir de Sciacca, les populations, que les meneurs du parti exalté avaient eu le temps d’avertir et de préparer, ont montré une grande effervescence. Des cris de guerra ! et morte al Borbone ! ont retenti aussi bruyamment qu’à Palerme. À Girgenti, la manifestation a pris un caractère tout-à-fait inquiétant, et la position du capitaine de l’Ariel se rendant chez les consuls est devenue critique. Il a fallu toute sa prudence et sa fermeté pour le tirer sans encombre de ce mauvais pas.

La disposition à la résistance paraît donc aujourd’hui générale dans toute la Sicile. Le mot d’ordre est donné par les clubs ; les exaltés dominent, le gouvernement encourage, les modérés effrayés crient comme les autres, plus fort que les autres. Il est devenu impossible d’apprécier la force relative de l’opinion modérée et de l’opinion exagérée, de celle qui accepterait volontiers la paix et de celle qui se jette dans la guerre comme dans un dernier refuge. L’apparente unanimité des démonstrations, l’ardeur des cris, l’exagération des discours, l’attitude belliqueuse, tout cela ne prouve pas grand’chose à ceux qui connaissent l’Italie, et il n’en faut rien conclure quant au résultat définitif, lorsqu’on en viendra au fait et qu’il faudra se battre sérieusement. Il y a là présent le souvenir de Messine. Les cris, les sermens, la jactance, n’ont pas manqué ; au moment décisif, quinze cents hommes ont combattu, et le reste s’est débandé. Des milliers sont venus chercher refuge sur nos vaisseaux, où ils arrivaient avec leurs armes et leurs gibernes pleines de cartouches, ce qui ne les empêchait pas de proférer toutes sortes d’injures contre les Napolitains, devant lesquels ils fuyaient, et de les appeler des lâches. On m’a raconté que, pendant qu’ils étaient réfugiés sur le vaisseau l’Hercule et sur de nombreux bateaux qui l’entouraient, garantis par le pavillon français, une division de canots napolitains chargés de troupes venant à passer, les Siciliens se mirent presque tous à crier : Vive le roi ! et cela parut si étrange à nos officiers, qu’ils ne pouvaient en croire leurs oreilles. Ces souvenirs d’un passé récent rendent incrédule, et l’on doit se borner à attendre l’événement dans un esprit de doute ironique qui ne s’étonnera de rien.


23 mars.

Il n’est vraiment pas facile de se rendre compte des causes qui font échouer la médiation. Ce n’est pas évidemment par réflexion que les Siciliens se montrent intraitables. Les raisons que mettent en avant ceux avec qui l’on discute la question ne sont, en vérité, pas valables, et ne suffisent pas à expliquer la résistance. Les Siciliens se plaignent amèrement des conditions qui sont apportées aujourd’hui, et disent qu’elles sont plus dures que celles qui leur ont été