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Un certain M. Calvi a aussi été appelé à faire partie de ce nouveau ministère. Ce nom est significatif. M. Calvi est le représentant de l’opinion républicaine. Jusqu’ici, cette opinion n’a qu’un petit nombre d’adhérens à Palerme et dans la Sicile. Les traditions, les coutumes, l’état actuel du pays, où la classe moyenne ne fait que de naître, la repoussent. L’opinion républicaine se fait sa place pourtant, et il a fallu, par esprit de conciliation, la laisser entrer dans le gouvernement. Cette nomination excite quelques défiances.

La signification de ces changemens ministériels est certainement contraire aux chances d’accommodement. Aussi la violence des discours augmente-t-elle, et l’agitation commence à se montrer dans la rue. Il s’est formé d’abord des attroupemens où l’on a parlé d’aller faire des démonstrations devant, les consulats de France et d’Angleterre et d’en arracher les écussons ; il a fallu que la garde nationale prit les armes. Le gouvernement, poussant et poussé, a crié aux armes et à la guerre. Avant-hier des placards avaient engagé les habitans à se rendre dans un lieu désigné pour y travailler à des ouvrages de défense. Hier, le peuple s’y est porté en foule immense, hommes jeunes et vieux, gardes nationaux, prêtres même ; des enfans, des femmes, et parmi celles-ci les sommités de l’aristocratie, s’étaient joints au cortége. Certains récits portent le nombre des travailleurs à quarante mille. J’en ai vu de douze à quinze mille, revenant armés de pelles et de pioches ou portant des paniers. Ils marchaient en rang avec assez d’ordre. De nombreuses bannières, quelques drapeaux siciliens, des lambeaux de toute espèce, ornés de fleurs et de feuillages, étaient arborés sur des branches d’arbre ou sur des gaules. Des tambours battaient à assourdir, et tout ce peuple poussait des cris de Viva la Sicilia, guerra, querra, morte al Borbone ! Ils ont défilé ainsi pendant des heures sur la route de la Bagaria, par la Marine et la rue de Tolède, se répandant ensuite dans tous les quartiers de la ville. Si l’on n’avait pas le souvenir de ce qui s’est passé à Messine, et si l’expérience n’avait pas montré, en maintes circonstances, le peu de fond qu’il faut faire de ces exagérations italiennes, on pourrait, à la vue de manifestations qui ont un tel caractère d’enthousiasme et d’unanimité, regarder la partie des Napolitains comme perdue ; mais les Siciliens, passez-moi la comparaison, sont un peu comme une bulle de savon : plus elle s’enfle, plus elle s’habille de riches couleurs, et plus elle est près de crever.

En s’adressant ainsi aux passions de la foule, en les remuant pour en faire sortir le patriotisme et l’élan d’une résistance énergique, le gouvernement de la Sicile, le parlement, la garde nationale, toute la classe noble et moyenne, qui, jusqu’ici, a dominé la situation et dont l’œuvre laborieuse et louable a été d’assurer l’ordre et de maintenir la tranquillité d’une société si fortement ébranlée, cette classe joue un jeu bien dangereux. La foule, le peuple, quand il s’agglomère ainsi, reconnaît sa force, s’anime, s’enivre. À son premier mouvement d’enthousiasme, mouvement honorable, mais passionné et irréfléchi, en succèdent bientôt de coupables. L’envie, la cupidité comprimées, quand ce peuple était parqué dans ses quartiers et qu’il ne pouvait agir faute d’organisation, se réveillent et prennent une nouvelle ardeur. Au milieu de cette foule presque entièrement composée des basses classes de la population et où quelques centaines de gardes nationaux étaient comme noyés et se distinguaient à peine, je voyais apparaître